SECRET DE FAMILLE
Joana, 12 ans, a besoin de percer un mystère. Pourquoi sa grand-tante Rosa est-elle décédée vierge ? Aidée par son amie Carolina, elle part en quête de réponses qui la mèneront à vivre son premier amour hors des conventions et à découvrir sa véritable identité.
Critique du film
Récit de formation, Secret de famille aborde, à travers les questionnements d’une adolescente des thèmes aussi forts que le deuil, l’identité, le courage d’être soi. Cristiane Oliveira choisit une approche impressionniste qui convient parfaitement à son sujet, signant un très beau film empreint d’une poésie farouche.
Du Brésil, nous parviennent, à espaces réguliers, des films comme autant de pièces d’un puzzle aussi immense que son territoire. Nous avons reçu, ces dernières années, des nouvelles de Recife avec Kleber Mendonça Filho (Les Bruits de Recife, Aquarius), de Belo Horizonte et ses environs avec Andre Novais Oliveira (Temporada) ou Gabriel et Maurilio Martins (Au coeur du monde), plus récemment de Manaus avec Maya Da-Rin (La Fièvre) et maintenant Porto Alegre et sa région de lagunes. Au-delà des genres qu’ils investissent, ces films contribuent à cartographier un état contemporain du pays. Aux difficultés sociales et économiques, aux problématiques raciales ou ethniques, les cinéastes brésiliens ont en commun d’associer des récits âpres et sensibles. Les cinématographies nationales indiquent aussi une façon d’habiter le monde.
La grand-tante Rosa vient de mourir et c’est la première mort de Joana, traduction littérale du titre original, sa première confrontation au deuil. Cet événement réveille chez la jeune fille une question entêtante, pourquoi cette tante est-elle restée vierge ? Cherchant à comprendre ce qui relève pour elle d’un mystère, Joana s’approprie peu à peu des questions relatives à la sexualité alors que premiers sentiments et nouvelles attirances finissent de la troubler.
Intranquillité
Cristina Oliveira ancre son récit dans une paysage lacustre surplombé d’un chapelet d’éoliennes (le plus grand parc d’Amérique latine). Les transformations environnementales à l’oeuvre résonnent avec les bouleversements intérieurs de Joana. Des les séquences extérieures où l’adolescente expérimente une forme de rapport au monde que personne ne lui a appris, la bande originale, mystérieuse et dissonante, vient dialoguer avec les sons naturels notamment saturés de cris d’animaux. Des séquences de poésie brute auxquelles répondent d’autres scènes aux cadres très sûrs à l’intérieur desquelles Joana et son amie Carolina semblent donner une harmonie par leur simple présence commune. Toutes deux s’amusent à discerner des formes connues dans la vase d’un étang (superbe photographie de Bruno Polidoro). L’animal et le végétal se confondent pour créer un univers fantasmagorique qui plane sur le film comme une intranquillité.
Joana est élevée dans une structure matriarcale au sein d’une société patriarcale (motif subtilement rappelé par les paroles d’une chanson dans un bal populaire). Autre distance avec la norme, la famille de Joana est d’origine germanique, observant le culte protestant. Grand-mère veuve, mère divorcée, la question sexuelle semble évacuée du logis. C’est du moins ce que Joana pensait… Menant sa petite enquête quant à la virginité de la tante Rosa, Joana ne reçoit que de vagues réponses : « Elle était originale, au-dessus de ça ». Prenant leur courage à quatre mains, Joana et Carolina décident de se rendre au domicile de la défunte, en quête d’un indice. Carolina, stimulée par l’audace de la démarche, ose un premier baiser.
Le film avance, aussi bien par touches impressionnistes que par petites révélations, réussissant à capter le désordre adolescent d’une construction en marge des normes. Le récit se situe en 2007, c’est à dire bien avant la politique homophobe et anti-écologique conduite par Jair Bolsonaro. Une façon de rappeler la fragilité des sourires de Joana et Carolina sur lesquels se conclut ce film d’une résistance à l’ensorcelante beauté.
Bande-annonce
4 août 2021 – De Cristiane Oliveira, avec Letícia Kacperski, Isabela Bressane, Joana Vieira
