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SATOSHI KON L’ILLUSIONISTE

Le mangaka et cinéaste d’animation Satoshi Kon est mort brutalement en 2010, à l’âge de 46 ans. Il laisse une oeuvre courte et inachevée, qui est pourtant parmi les plus diffusées et les plus influentes de l’histoire de la culture japonaise contemporaine. Dix ans après sa disparition, ses proches et ses collaborateurs s’expriment enfin sur son travail, tandis que ses héritiers, au Japon, en France et à Hollywood, reviennent sur son legs artistique.

Critique du film

Considéré comme une valeur sûre depuis longtemps auprès des amateurs de cinéma d’animation, Satoshi Kon reste encore, malheureusement, un nom qui peine à allumer une étincelle dans les regards aussi facilement que celui de Miyazaki, bien qu’un réel regain d’intérêt cinéphilique ait émergé ces dernières années, aidé par la démocratisation accélérée de la japanimation. Le projet fort honorable de Pascal-Alex Vincent de réaliser un long-métrage sur l’œuvre du réalisateur aurait pu grandement aider à résorber cette situation dommageable. Néanmoins, son film, arrivant tout juste à l’heure, n’évite pas les écueils les plus classiques du documentaire et apporte finalement bien peu de grain à moudre aux spectateurs ayant déjà quelques connaissances sur l’artiste.

Satoshi Kon, l'illusioniste
Optant pour un récit chronologique de la carrière du réalisateur japonais, le documentaire revient sur ses cinq productions audiovisuelles ainsi que son dernier film inachevé (le court-métrage Ohayō sera, lui, curieusement oublié) en ciblant à chaque fois un enjeu technique ou un aspect précis de la production qui sera commenté par les différentes personnes interviewées. Cette structure assez paresseuse aplanit les possibilités de discours et facilite le développement d’un ton hagiographique. En effet, Satoshi Kon est immédiatement élevé au rang de grand cinéaste – ce qu’il est par ailleurs – sans que ce statut ne soit vraiment interrogé par le documentaire. On entend ainsi, au détour d’une phrase, que son travail a permis de repousser les limites de l’animation, sans que l’on précise comment son approche esthétique a pu conduire à ce résultat, ni même quelles étaient ces limites en premier lieu. De façon similaire, le film vante l’influence que Perfect Blue et Paprika ont exercé sur le cinéma américain des années 2010 en prenant pour deux seuls exemples Black Swan et Inception, des reprises essentiellement scénaristiques et éloignées des interrogations du réalisateur japonais sur l’identité, la société moderne aliénante et l’image. Le documentaire se range ainsi plus facilement auprès de l’exposition de faits, parfois approximatifs, que de l’analyse poussée : il répète beaucoup que Satoshi Kon est fasciné par l’entremêlement de la réalité et de la fiction, et se heurte à ce constat sans aller plus loin.

Une part de ce problème vient de la qualité très inégale des interventions. Les personnes interviewées, allant d’anciens collaborateurs de Kon à des universitaires en passant par quelques réalisateurs de films d’animation, sont sans doute trop nombreuses et auraient mérité d’être mieux réparties. Il est vraiment regrettable que les intervenants les plus pertinents, notamment Aya Suzuki, animatrice aux studios Ghibli et Madhouse, et Marie Pruvost-Delaspre, maîtresse de conférence, aient si peu de temps pour développer leur réflexion. Quelques éléments sont toutefois justement pointés du doigt, comme le recours à une animation plus cartoonesque dans Tokyo Godfathers, ou bien le décalage d’une dizaine d’années qu’avait l’Occident par rapport au Japon concernant l’animation pour adultes. Mais ce sont autant de pistes d’analyse, de brèches dans lesquelles le documentaire ne s’engouffre jamais, rivé à son déroulé chronologique strict.

Satoshi Kon, l'illusioniste

On regrettera d’autant plus le soin apporté aux prises de vue réalisées pour les besoins du film, qui donnent naissance à des images léchées semblant hors de propos. Les plans de coupe entre deux interviews paraissent au départ proposer un prolongement réaliste des extraits des longs-métrages de Kon (le véritable métro de Tokyo devenant celui de Perfect Blue par le montage), mais cette proposition timide est rapidement abandonnée au profit de vues urbaines abusant du ralenti. Voir le documentaire prendre autant de temps, sur ses 82 minutes, pour montrer chaque ville où se déroule l’interview en cours, en écrivant systématiquement son nom à l’écran, a de quoi faire grincer des dents, surtout quand on voit à quel point le travail de Kon est survolé en parallèle. Ce formatage de la mise en scène, qui va jusqu’à l’emploi d’un piano triste lors de l’évocation de la mort du réalisateur, trahit l’absence de positionnement du documentaire vis-à-vis de son sujet, qu’il présente finalement de manière distante sans oser s’en emparer d’une manière ou d’une autre.

À ce titre, le long-métrage de Pascal-Alex Vincent tient plus du reportage propret que du documentaire de cinéma investi par son sujet. Cette absence de point de vue transforme ce projet ambitieux en biographie très sage, qui ne satisfera que les personnes intriguées par le travail de Kon mais réticentes à voir ses films – si tant est que ce type de spectateur existe réellement. Ce documentaire était pourtant l’occasion de mettre des mots sur « l’esprit de Kon », qui naît au croisement entre le récit labyrinthique et la récurrence des images, et peut-être aussi de se pencher un peu plus sur sa carrière de dessinateur de mangas, qui recoupe toutes ses obsessions cinématographiques et qui reste encore largement méconnue aujourd’hui.


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Bonus de l’édition vidéo Carlotta
Satoshi Kon, l’interview inédite (11′) : interview du réalisateur réalisée en 2008 à New York. Il aborde au cours de la discussion les questions du contrôle créatif, du rapport entre rêve et cinéma ainsi que de l’influence général du domaine des rêves et de l’inconscient sur son travail.
Maruyama et Kon, le dernier projet (4′) : évocation du dernier projet envisagé par Kon, qui devait être mis en production après la réalisation de son film resté inachevé, Dreaming Machine. Il s’agissait d’une adaptation en animation d’un film de Sadao Yamanaka, cinéaste populaire des années 1930 qui avait mis en scène le personnage historique de Nezumi Kozō, présenté comme un équivalent japonais de Robin des Bois.
Megumi Hayashibara, la voix de Paprika (6′) : la célèbre actrice de doublage revient sur ses impressions à la découverte du script de Paprika et sa capacité à jouer un personnage possédant deux identités distinctes.
Masashi Ando, de Hayao Miyazaki à Satoshi Kon (5′) : le character designer parle de son expérience au sein du studio Ghibli, à la fois très formatrice et frustrante du point de vue artistique, puisqu’il lui fallait se conformer à la « couleur » Miyazaki. Masashi Ando a pu travailler avec plus de liberté avec Satoshi Kon, qui échangeait librement ses idées avec lui.
Yasutaka Tsutsui, l’écrivain par qui tout est arrivé (3′) : l’auteur du roman Paprika discute de sa complémentarité, en tant qu’artiste, avec l’approche esthétique de Kon. Il admet notamment percevoir Millennium Actress comme une de ses propres œuvres et aimerait l’adapter en roman.
Jérémy Clapin, un cinéma participatif (3′) : mise en rapport des différentes timelines du film J’ai perdu mon corps avec la façon dont Satoshi Kon fait coexister plusieurs sphères (réalité/fiction mais aussi public/privé) au cœur de son récit.





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