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SABRINA

Sur un arbre perchée, la fille d’un chauffeur observe secrètement l’homme qu’elle aime depuis des années, issu de la haute bourgeoisie. Partie deux ans pour étudier la gastronomie à Paris, elle finit par rentrer, arborant une toute autre allure qui la rend alors méconnaissable et va lui attirer bien des ardeurs inattendues…

Pouvoir

En 1954, Billy Wilder n’en est pas à son coup d’essai pour nous dépeindre une histoire de classes sociales que le monde a divisé. La réussite sociale, ou plutôt son idée, semble tenir à cœur au cinéaste que les Etats-Unis connaissent déjà, notamment grâce au fameux Boulevard du Crépuscule, sorti à peine quelques années plus tôt et agissant scénaristiquement de la même manière en mettant en scène des personnages que tout oppose au sein de la société. Pour mieux les rapprocher. Mais est-ce là le propos principal de Sabrina 

UNE ODE AU FÉMINISME

Prêtant son prénom au titre du film, le personnage de Sabrina apparaît sous la figure juvénile et dénuée de toute extravagance d’Audrey Hepburn, adolescente vainement amourachée et rêvant à cet amour impossible comme il en existe tant dans la littérature traditionnelle. Sa silhouette frêle et ses propos romantiques désespérants de naïveté et d’illusions questionnent réellement, en vérité, la place de la femme dans la société des années cinquante, tandis qu’elle continue d’être représentée comme la ménagère, la femme au foyer, la pin up ou plus communément : la femme-objet.

Si Sabrina tient encore sa place aujourd’hui parmi les films cultes du XXème siècle, ce n’est pas uniquement pour les yeux de biche d’Audrey Hepburn, actrice au talent de boule à facettes, adaptatif, multiple et varié en fonction des rôles et toujours criant de sincérité. Ni pour la mine renfrognée d’Humphrey Bogart en dandy mélancolique, ici Linus Larrabee, que la vie a comblé d’une famille aisée mais trahi d’autre part, le rendant malheureux pour un drame sentimental dont le spectateur n’a pas écho de manière détaillée.

Le film entier joue sur la représentation de la femme, l’habillant telle une poupée, lui donnant des airs de vierge effarouchée – Martha Hyer dans le rôle de la future épouse, l’affublant de robes et faisant réagir les hommes aux rôles si secondaire soient-ils, pour qu’apparaisse Eve, aux yeux d’Adam. C’est ce jeu de l’exagération qui tombe à la renverse devant la finesse d’esprit et la justesse du personnage de Sabrina, terriblement libre et triste, par ailleurs, de pouvoir aimer deux hommes, puis d’en choisir un, le délaisser pour un autre, et renverser ainsi les codes précédemment instaurés en début de film où l’homme au sens masculin du terme – joué par William Holden –  choisit, use, jette, recommence sans remords et sans la moindre présence d’esprit.

Faisant côtoyer plusieurs générations autour d’un même problème de genres, Billy Wilder appuie sa pensée sur le sujet en instaurant le choc, cette notion ô combien précieuse pour susciter les interrogations. La jeunesse choque les parents. La jeunesse n’évolue pas, elle entre en rébellion. Telles sont les croyances des personnages les plus âgés évoluant autour des protagonistes principaux. Ainsi nous nous retrouvons dans un univers bourgeois où l’homme décide, mais semble paradoxalement intimidé en permanence par les femmes, intimidé au point d’être infantilisé.

Cependant « nous sommes au XXème siècle », répètent inlassablement les hommes et femmes embarqués dans ce tourbillon propre à l’évolution. La parole du réalisateur semble alors transparaître dans la répétition de certaines phrases dont le souvenir résonne, et a précisément pour but de résonner dans la tête de chacun des spectateurs. Ce qui, au départ, ressemblait à une sorte de duo de frères à la Remus et Romulus, bataillant pour la même femme comme pour Rome, se révèle plus tard comme étant une bataille de la femme, la bataille de Sabrina pour trouver la paix et sa place sans avoir à subir les limites de sa classe sociale, ou bien souffrir de sa condition de femme-mouchoir, jetable sitôt utilisée.   

UN CONTE MODERNE

Chez cette famille aisée où le terme pouvoir est synonyme de gros mot, le mariage qui prenait initialement toute la place fait un pas de côté, pour révéler ce que le film raconte vraiment. Une histoire, aussi, d’égalité souhaitée, par l’alliance de classes sociales divergentes. Linus Larrabee, en totale contradiction avec son père au penchant ouvertement conservateur, symbolise l’ouverture mentale et le pont solide entre le respect des coutumes et le regard vers l’avenir. 

« La vie est une limousine : il y a ceux qui s’assoient sur la banquette arrière, et ceux qui sont à l’avant ». La vie aurait-elle possiblement la largeur d’une voiture, l’étroitesse d’une carrosserie ? Réveillez-vous, hurlent Sabrina, Billy, et les autres. Quelque chose de plus grand est en marche, et nous n’y échapperons pas, fort heureusement.


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