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RING

Tokyo, fin des années 2000, une ru­meur se répand parmi les adoles­cents : visionner une mystérieuse cassette vidéo provoquerait une mort cer­taine au bout d’une semaine. Après le dé­cès inexplicable de sa nièce, la journaliste Reiko Asakawa décide de mener l’enquête mais se retrouve elle-même sous le coup de la malédiction. Pendant les sept jours qui lui restent à vivre, elle devra remonter à l’origine de la vidéo fatale et affronter le spectre qui hante les télévisions : Sadako.

Critique du film

Une des qualités les plus agréables des beaux films est leur façon de parler d’eux-mêmes, l’air de ne pas y toucher. Si Ring, avec son récit tournant autour d’une mystérieuse cassette maudite, s’ouvre facilement à une réflexion sur les images, c’est d’abord dans son évocation des pratiques qui accompagnent ces images qu’il frappe juste : la scène d’introduction, où une adolescente raconte à son amie l’histoire d’une VHS qui tue ceux qui osent la regarder, c’est quelque part le film qui prédit son futur succès de vidéo-club, le lieu des recommandations intrigantes partagées avec un air de défi.

La force avec laquelle le long-métrage marqua la culture populaire de son époque fut une surprise pour son réalisateur, Hideo Nakata, qui avoua s’être trompé de public cible : réalisé avec un public de trentenaires en tête, ce furent finalement les lycéens qui participèrent le plus à la réputation du film. Ring connut rapidement plusieurs suites ainsi que deux adaptations américaines, mais elles ne retrouvèrent pas le succès du premier, bien que Nakata revienne à la réalisation pour Ring 2 et son remake. Après s’être chargé de la mise en scène du troisième film adapté du manga Death Note, le réalisateur retourna à des productions horrifiques à petit budget dont la diffusion reste limitée. Le seul autre jalon important de sa filmographie restera Dark Water, sorte de jumeau de Ring qui capte lui aussi quelque chose de son époque et de son dispositif.

Ring

Si Ring est visuellement très ancré dans les années 1990, du point de vue des costumes, des intérieurs et de la photographie, cela ne fait que magnifier son enrobage de légende urbaine. La technologie d’alors, ainsi que les modes de vie un peu différents, participent à un effet de distanciation singulier, comme si tous les signes manifestes du passé venaient paradoxalement attester la véracité des rumeurs sur la cassette maudite, qui s’actualise sous nos yeux. Difficile alors de résister au suspense de l’enquête des deux personnages principaux, menée avec la terrible idée qu’ils avancent à tâtons et qu’ils ne savent rien. On passe volontiers outre les articulations scénaristiques faiblardes quand on réalise que Ring ne conçoit pas la peur, la surprise ou le choc comme le premier critère des grands films d’horreur, et qu’il choisit plutôt, avec ambition, d’incarner cinématographiquement les peurs les plus humaines.

On connaît ainsi, de près ou de loin, le mystérieux personnage de Sadako et ses longs cheveux noirs, dont l’apparition longuement préparée par le film en constitue le point d’orgue. En revanche, on oublie plus facilement tout ce qui la précède : visionner Ring, c’est faire l’expérience du couloir de la mort dans lequel se retrouvent malgré eux les protagonistes. La loi édictée par le récit, « tous ceux qui regarderont la cassette mourront dans sept jours », est rendue plus implacable encore par son absence de cause : on sait que les personnages meurent avec une expression de terreur intense, mais on ne sait pas comment, jusqu’à la fin. Les jours sont ainsi cruellement égrainés au fil de l’intrigue, rappelant que l’échéance se rapproche, et quelque chose d’autre également. Le film anticipe longuement les thèmes de l’incarnation et du revenant, avant même que son entrée définitive dans le domaine du paranormal ne soit actée : l’idée d’une présence fantomatique se retrouve dans la scénographie des acteurs, qui apparaissent dans de soudain contre-champs, raides comme des piquets. La cassette maudite constitue très justement le pivot du récit, marquant le passage d’un monde à un autre et articulant toutes les questions du film : quel mystère mène à cette VHS, qu’est-ce qu’elle peut bien contenir, qu’est-ce qu’on en fait une fois qu’on y a été confronté ?

Ring

Succession de plans incompréhensibles d’à peine une minute qui charrie tout le génie de Ring, les images de la cassette semblent elles-mêmes porter cette capacité de revenir hanter le film tout entier, de s’infiltrer dans l’envers de ce qu’il montre, de le contaminer de manière invisible et de resurgir dans le montage pour rayer l’œil du spectateur.

La précision dans le choix des images et de leur articulation permet, au premier visionnage, une plongée inconfortable dans des méandres inconnus, où ne surnage qu’une incompréhension inquiétante. La séquence livre également un ensemble de signes, à décrypter par le ralenti ou l’arrêt sur image, qui serviront de pistes au duo de protagonistes. L’auscultation des images pour déceler ce qu’elles cachent est toujours un programme passionnant au cinéma, et rarement on aura filmé d’aussi près l’image dégradée, le flou, le grain, et joué sur l’angoisse que provoque ces altérations. L’adaptation américaine, en comparaison, sera bien plus propre et plus évidente dans ses choix de symboles, cédant à la facilité des visuels parfois choquants et désespérément codifiés, qui ne parviennent pas retranscrire la sensation que quelque chose nous échappe face à cette séquence.

Ring puise en effet dans l’inquiétude provoquée par l’absence d’origine certaine des images de la cassette, qui semblent privées de référent, indépendantes du mécanisme d’enregistrement automatique d’un réel préexistant. En analysant la séquence, les deux protagonistes se rendent compte à juste titre qu’elle présente une aberration technique : un jeu de miroirs dans l’un des plans devrait faire apparaître la caméra dans un reflet, mais celle-ci reste absente, comme si la séquence avait été générée sans passer par l’appareil. Le film invite ainsi son spectateur à repenser la nature des images maudites, qui n’ont pas une origine technique mais bien psychique. Elles sont là, face à ceux qui osent les regarder, et ne désignent rien d’autre qu’elles-mêmes : elles désignent donc une intériorité, qui conduit les personnages à la mystérieuse Sadako et les amènent à conclure que les images de la cassette sont une incarnation visuelle et incohérente d’un profond sentiment de haine.

La reconsidération brusque du statut des images au cours du film est une manière brillante d’incarner l’angoisse au cinéma, mais le processus reste trop rarement exploité, bien qu’il rejoigne les préoccupations esthétiques et techniques du milieu de l’audiovisuel au moment de la démocratisation massive de la vidéo. On retrouve un sentiment similaire dans le très beau Projet Blair Witch, où s’opère, en plus du trouble réalité/fiction qui avait fait débat à sa sortie, un contraste profond entre le mode de tournage « au présent », pris sur le vif, et le fait que les images deviennent le testament des trois personnages principaux.

Ring

La vidéo de Ring est une parabole assez évidente de la violence dans l’audiovisuel, de ce qu’il ne faut pas voir sous peine d’être consumé par l’image. Hideo Nakata pousse toutefois cette lecture un cran plus loin par son entremêlement avec le sujet des revenants. La présence fantomatique de Sadako passe par l’idée des images sans origine et sans support définitif qui imprègnent le spectateur, jusqu’à le marquer physiquement – en témoigne le moment où l’héroïne se retrouve avec des marques sur le bras après une vision. Mais le processus se fait également à un rythme plus lent, pendant les sept jours qui séparent le visionnage et la mort annoncée : la cassette vampirise quelque chose de ses spectateurs, qui se retrouvent dans un quotidien morne, dévitalisé, pluvieux. Le monde des personnages semble déjà se faner à partir du moment où il sont maudits, bien que le malheur frappe d’abord le domaine de la représentation et de l’image (les polaroids affreux aux visages brouillés) avant de s’attaquer au réel. Le basculement s’opère véritablement lors de la célèbre séquence de fin, montrant l’incarnation du spectre sortant de la télévision. Le rapport regardant/regardé s’inverse alors : c’est en baissant les yeux sur ses victimes que Sadako les condamne, elle les fige dans le plan qui s’immobilise soudainement, les privant de vie. L’affliction que provoque le fantôme n’est pas physique mais bien visuelle, répondant à l’équation impossible qui se joue dans la scène : si l’image devient vivante, le vivant doit devenir image.

Le long plan introductif sur la mer se comprend ainsi, à rebours, comme une image matricielle du surnaturel à venir. Le reflux des vagues, défilant étrangement à l’envers, fait écho à celui de la séquence maudites et des esprits. Cette idée de mouvement cyclique trouve son chemin jusque dans les partitions effrayantes de Kenji Kawai, avec ses bruits sourds et métalliques qui reviennent ponctuer le silence et parfois, le recueillement des personnages. Si le film accorde un long moment méditatif face à l’océan, au seuil de leur propre mort, ce n’est que pour leur offrir, plus tard, le choix cruel de reconduire la malédiction, de rejouer l’horreur une fois encore. Ring se conclut ainsi avec la certitude désagréable que ce n’est pas le fantôme inarrêtable qui fera son retour, mais bien la fatalité toute entière.


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De retour au cinéma le 13 avril 2022



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