Return to dust

LE RETOUR DES HIRONDELLES

Un couple rejeté par leurs familles respectives et contraint à un mariage arrangé.

Critique du film

Le cinéma chinois contemporain arbore mille visages, de la fable sociale implacable d’un Jia Zhang Ke, jusqu’au film noir influencé par le cinéma américain d’un Diao Yi’nan, ou les fresques historiques à grand budget de Zhang Yimou. C’est du coté naturaliste et rural que se penche Li Ruijun, réalisateur de 39 ans avec déjà plusieurs long-métrages à son actif, aucun n’ayant eu la chance d’être distribué en France à cette date. Son nouveau film, Le retour des hirondelles, dresse son histoire loin des grandes cités chinoises, dans une campagne qu’il écrit comme mourante, en proie à une destruction orchestrée par les potentats locaux avides de gains rapides en détruisant maisons et terres agricoles.

Au sein de cette communauté de paysans, ce sont les plus démunis, les grands déclassés, qu’il décide de mettre en valeur. Le quatrième frère Ma, dit « Iron », est le petit dernier d’une fratrie dont les deux aînés sont déjà décédés. Il est aussi celui qui est le plus attaché à sa terre natale et à son activité d’agriculteur, cultivant du blé, du maïs, ainsi qu’un peu d’élevage par le biais de poules et de cochons. Son frère ainé toujours en vie réside en ville et le traite comme un employé, voire même comme un idiot, plus une charge qu’un frère. La première scène montre l’organisation de son mariage avec une autre paria, Guijin, qui embarrasse sa famille à cause d’une incontinence qui la fait passer pour une bête curieuse. L’union organisée de ces deux êtres méprisés de tous paraît dès lors un moindre mal.

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Leur mariage semble une formalité administrative, une opportunité pour les deux familles de se délester de deux membres disgracieux et pesant pour leur confort. Une fois ce tableau terrible dressé, la cruauté de la situation étant lourdement pesée, le couple est montré par la caméra de Li Ruijun dans chacun des aspects de son quotidien. Le travail de la terre, l’apprentissage de sa nouvelle vie pour Guijin, la bonté frustre de frère Ma qui lui donne une attention et une affection qu’elle n’avait jamais connue jusqu’ici. En parallèle de la mise en place de leur vie maritale, nous assistons à la désagrégation de la communauté paysanne, sa décomposition comme arrière-plan de chaque scène.

Si frère Ma vit en marge et en presque autarcie, il est mis en avant par la rareté de son groupe sanguin qui devient vital pour sauver un riche propriétaire terrien qui détient toutes les terres avoisinantes. En filigrane se ploie donc les difficultés des paysans, voisins de frère Ma et Guijin, l’argent qui ne rentre pas malgré les récoltes, l’étau que resserre les propriétaires se comportant comme des usuriers sans scrupules, et la disparition progressive des exploitations et des maisons qui composaient toute la structure ancienne de ces villages. Si frère Ma et sa femme construisent leur maison avec leurs faibles moyens, briques de terre et toit de chaume, ils n’ont de cesse que d’être chassés, se déplaçant suivant les destructions successives marquant le rétrécissement des possibilités de continuer leur activité agricole.

Si cette belle maison construite intégralement à deux est leur rêve et un aboutissement finement décrit par l’auteur, il est barré par une volonté de les envoyer en ville dans un appartement octroyé aux plus pauvres de ces environs ruraux et paysans. La situation décrite est bouleversante, et le drame qui intervient en toute fin de film finit d’emporter tout espoir né avec la construction de la maison. Li Ruijun capte à merveille toutes les énergies contraires qui composent la société rurale de la Chine contemporaine pour en faire un réquisitoire fort, beau et violent à la fois. Si les prémisses montraient une injustice crasse entourant ces déclassés, c’est la tristesse qui l’emporte dans la conclusion, tombeau établi par un système déshumanisé où ne compte que le profit d’une minorité qui n’a que faire des populations. Il ne reste qu’à espérer que cette œuvre magnifique puisse être vue et appréciée à sa juste et grande valeur.

Bande-annonce

8 février 2023 – De Li Ruijun, avec Wu Renlin et Hai Qing.


Berlinale 2022




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