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POULET FRITES

Strip Tease est de retour ! Dans ce nouveau long-métrage, une prostituée bruxelloise est assassinée à son domicile. Alain, son ex-compagnon boucher et junkie notoire, semble être le coupable idéal. Toutefois, le jeune suspect ne se souvient absolument pas d’avoir tué cette femme. Une pièce à conviction va alors tout chambouler : une frite !

Critique du film

« Délire et mégalomanie
C’est le monde du cinéma
A la télé, c’est pas comme ça
Rien que finesse et modestie. »

L’émission Strip Tease, reconnue pour son mordant à toute épreuve, a déjà été sujette à l’auto-réflexion. Les suites d’épisodes des années après la première visite des journalistes (Tiens-toi droite en 2000, Madame la Juge en 2012) côtoient les mises en abyme hilarantes des équipes de tournage qui tentent de continuer coûte que coûte leur reportage (Le serment d’hypocrite en 2001). Poulet Frites marque une nouvelle étape dans l’introspection de l’ancien format franco-belge, puisqu’il s’agit d’un remontage en noir et blanc de trois épisodes de 52 minutes tournés il y a au moins quinze ans, originellement en couleur et appelés Le flic, la juge et l’assassin. Au sein des personnes-personnages présents à l’écran, se trouve l’emblématique Anne Gruwez, juge d’instruction vue dans Ni juge ni soumise, déjà compatissante et au regard toujours plein de malice. A peine le film commence, tout afictionado de l’émission se sent en terrain conquis.

Remonter trois heures en une petite centaine de minutes permet aux réalisateurs Yves Hinant et Jean Libon de faire des coupes très franches, permettant au film d’arborer cette structure chère aux documentaires du format : une ambition d’aller droit au but, une série d’éléments factuels resserrés pour augmenter la teneur archétypale des personnes à l’écran, quitte à rendre obscure la frontière entre la fiction et le documentaire. Il faut dire que Poulet Frites s’amuse à dérailler pour embrasser pleinement les codes du Film Noir. Son schéma narratif avance d’indice en indice ; ses policiers sont juste caractérisés comme tel, menaçants et un peu bourrus plongeant dans un réseau de prostitution belge ; son beau noir et blanc très prononcé étalonné par Julien Blanche marque l’ambiance du récit et présente les carnations évolutives des individus au fur et à mesure qu’ils se noient dans la mémoire défaillante des principaux suspects – un comble, pour un re-modélisation du montage.

Poulet Frites

NUDITÉ SOCIALE

Néanmoins, si le film semble remonté pour tenir sur ses rails, il ne manque pas d’égratigner par pur désir de transgression l’institution policière belge et leur entente avec les autorités internationales. Souvent agressives, guidées par des stéréotypes peu reluisants, les forces de l’ordre émettent des petits commentaires moqueurs peu emballants que Hinant et Libon relèvent à la manière de clins d’œil anar. Cela surligne la violence sociale qui touche les quartiers les plus défavorisés de Belgique, où s’entassent les minorités ethniques, les drogués sans le sou ou les sans domicile fixe. A vrai dire, au-delà de l’enquête, ce sont ces petites gens qui crèvent l’écran. Leurs personnalités souvent lunaires, leurs maladresses verbales et leurs difficultés d’appréhension ou de compréhension du contact social en font de grands personnages de cinéma.

Ils sont touchants mais suspects par nature, on doute évidemment d’eux mais leurs gestes gauches créent une grande tendresse. La ligne éditoriale de la série originelle est donc bien présente, puisque ce portrait de gueules cassées n’a pas pour but d’être mesquin ; il dévoile une profonde humanité qui déborde du cadre. Dans Poulet Frites, le passage le plus évident à ce sujet reste celui où Alain, suspect numéro 1 durant tout le film, se révèle face caméra pour la première fois à dix minutes du terme, lui qui ne fut filmé que de dos, de trois quarts ou dans l’obscurité lors de ses passages d’interrogatoires. Sa mise en lumière coïncide avec la fin de son chemin de croix emprunté durant les précédentes minutes du long-métrage. Ce changement de perspective révèle en lui-même un principe de subversion, un détournement empathique du point de vue qui nuance d’un coup une grosse partie du film et démontre l’ambivalence humaine et sociale à l’intérieur d’un même champ.

Le plus étonnant à cela est que ce remontage de pellicules de la décennie précédente a pour résultat de rester atemporel pour un spectateur une quinzaine d’années après. La belle remasterisation des images et le vocabulaire technique encore pertinent en 2022 rendent grâce à cette sensation de présentation d’éléments qui n’ont toujours pas changé à l’heure actuelle. Certes, si le matériel électronique a su se perfectionner, leur utilisation reste sensiblement la même et les interrogatoires tournent toujours autour des mêmes enjeux. C’est par ce prisme que, par extension, Strip Tease reste une émission d’avant-garde qui ne craint jamais d’affronter son passé, de se replonger dans ses archives tout en conservant ce même désir d’absurde et de folie qui dépasse les réalisateurs autant que les protagonistes dans le champ.

« Allongé sur le sable blanc
Mojito face à l’océan
Je lis Au-dessous du volcan
Loin de toute télévision. »

Bande-annonce

28 septembre 2022 – De Yves Hinant et Jean Libon avec la participation de Anne Gruwez




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