Peter von Kant

PETER VON KANT

Peter Von Kant, un réalisateur célèbre et à succès, vit avec son assistant Karl, qu’il aime maltraiter et humilier. Grâce à la grande actrice Sidonie, il rencontre et tombe amoureux d’Amir, un beau jeune homme de condition modeste. Il propose de partager son appartement et d’aider Amir à percer dans le monde du cinéma. Quelques mois plus tard, Amir devient une star. Mais dès qu’il devient célèbre, il rompt avec lui. Peter reste seul et doit faire face à lui-même.

Critique du film

Peter von Kant marque un deuxième jalon dans la germanophilie de la filmographie de François Ozon. Le réalisateur le plus prolifique du cinéma français, presque un film par an, multiplie les projets, les formes et les envies. Après Frantz en 2016, c’est vers Rainer Fassbinder qu’il se tourne pour une réinterprétation « libre » de son fameux Les larmes amères de Petra von Kant, film sorti en 1972. L’idée d’Ozon est de changer le genre du personnage principal, et d’en faire un double du grand metteur en scène allemand. Petra, devenue Peter, ne travaille plus dans la mode mais est cinéaste renommé, faiseur de talents et névrosé à l’extrême. Il vit avec son majordome, secrétaire, homme à tout faire Karl, qu’il traite sans aucun respect, lui demandant d’obéir au moindre de ses ordres.

Le projet a tout pour inquiéter, reprendre une œuvre aussi célèbre, également pièce de théâtre à succès maintes fois adaptée, en inversant le genre du personnage principal peut vite devenir un piège. La force d’Ozon est la qualité de l’écriture de ses personnages. En capturant la persona de Fassbinder et l’investissant dans ce Peter von Kant, il crée une situation d’une grande perversité, mais aussi d’une rare intensité.

Peter hurle, crie, vocifère, il est odieux, vulgaire, mais tout le monde l’admire et sa réussite appelle les louanges et les envies. Denis Ménochet est Peter, il lui prête son corps, sa verve, sa présence magnétique et ses outrances. Presque tout le film se situe dans son appartement, un charmant loft situé à Cologne, où il règne comme un fauve dans sa cage dorée où personne ne saurait lui dicter sa loi. Pourtant intervient Amir, jeune homme au sourire ravageur, « d’une allure folle » selon les mots de Peter. Presque vingt ans les séparent, mais Peter en tombe éperdument amoureux en un instant, après que son amie Sidonie, glaciale Isabelle Adjani, les ait présentés.

Peter Von Kant

Leur relation est comme une longue séance de torture, Peter ne supportant plus la désinvolture du volage Amir qui couche avec « tout le monde » selon les mots de Sidonie. Là encore le film est servi par l’arrivée d’un visage neuf, celui de Khalil Ben Gharbia, aussi magnétique que sauvage, engoncé dans des tenues étriquées propres aux années 1970 qui abritent l’histoire. La période est infusée à chaque instant par le cinéma de cette décennie. Peter filme Amir en pellicule 16mm, le grain est épais, ses gros plans auscultent le visage rempli de larmes de son amant. Karl monte ces images, coupant, collant, racontant un morceau de la vie de cet art qui transpire de Peter comme le gin-tonic dont il s’abreuve dès le réveil.

Chacun danse son propre ballet, avec sa propre partition. Si Peter souffre, les yeux bouffis et rouge d’avoir trop pleuré, rappelant le titre du film original, c’est souvent par l’entremise de Karl que le spectateur atteint au plus près l’humeur des scènes. Omniprésent, la démarche énergique et le port longiligne, il ne prononce pas un mot alors qu’il traverse pourtant chaque scène, témoin de tout ce qui se passe. Par ses yeux passent l’admiration, la colère, l’indignation et aussi la peur. Quand enfin son « maître » le regarde et l’interroge, sa réaction est éloquente. L’homme de l’ombre, muet et discret était bien vivant, pas un simple spectateur des humeurs et divagations d’un fou en quête d’amour destructeur.

Cet amour des personnages est le fil rouge de toute l’œuvre de François Ozon, de ses actrices de 8 femmes au casting pléthorique de Grâce à Dieu, il a toujours eu ce talent pour créer des protagonistes qu’il met en scène à la perfection, avec plus ou moins d’assurance pour organiser le tour et convaincre complètement. Cette variation autour de l’œuvre phare de R.W. Fassbinder fonctionne et réussit son pari avec brio. L’enthousiasme à regarder cette orchestration virtuose autour de seulement quelques pièces d’un appartement, ode à la souffrance et au cinéma, ne nous quitte pas jusqu’à son inévitable conclusion.

Bande-annonce

6 juillet 2022 – De François Ozon, avec Denis Menochet, Isabelle Adjani et Hanna Schygulla.


Présenté en ouverture à la Berlinale 2022




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