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PAST LIVES

Nora et Hae Sung, deux amis d’enfance sont séparés après que la famille de Nora a émigré de Corée du Sud. Deux décennies plus tard, ils se retrouvent à New York pour une semaine fatidique.

Critique du film

Passé par le festival de Sundance et la Berlinale, Past Lives est le premier long-métrage de Celine Song, portant une histoire aux accents très autobiographiques. Née en Corée du sud, la réalisatrice écrit l’histoire d’une jeune femme qui a du quitter son pays natal pour immigrer avec ses parents sur le continent nord-américain, d’abord au Canada, puis aux Etats-Unis. Si la première étape représente une halte familiale, ses deux parents étant artistes, désireux de découvrir de nouvelles possibilités dans un nouveau contexte. Le deuxième temps est plus personnel, Nayoung, devenue Nora, poursuivant sa route seule à New-York. Le scénario du film reprend cette trame chapitrée, rythmé par le passage du temps. Si la condition d’artiste est en filigrane de chacune des parties du film, son cœur appartient à la romance, le premier amour qui résiste et se représente régulièrement, mais aussi celui de l’âge adulte, symbolisé par un atelier d’écriture qui amène la jeune femme à East village avec son mari, joué par John Magaro (First cow).

Si l’on reconnaît de nombreuses influences dans le film, suivant les situations décrites, on pense immédiatement au cinéma de Richard Linklater, tant pour son talent de conteur de grandes histoires d’amour, que de gestionnaire du temps dans ses films, que ce soit dans la trilogie des Before ou dans Boyhood (2014). La grande différence tient justement à la manière dont Celine Song regarde ses acteurs, les fait travailler et installe ses plans. Si elle a tenu à travailler avec les deux acteurs masculins séparément, Magaro donc, mais aussi Teo Yoo (Teo Yoo), Nora (Greta Lee) lui a servi de pivot, un axe autour duquel se forme un faux triangle amoureux, qui ne se retrouve dans un même lieu que tardivement dans l’histoire, pour recréer un effet de surprise le plus juste possible dans le jeu des comédiens. Teo et Arthur ne partagent qu’une ou deux scènes en toute fin de film, ne parlant pas la même langue et n’ayant en commun qu’une personne qui devient un point d’achoppement délicat.

Si cette méthode de travail et de direction d’acteurs est plutôt séduisante, il faut bien constater que Past lives rate plus qu’il ne réussit beaucoup de ses scènes, manquant cruellement d’intensité et se complaisant souvent dans une direction artistique très clichée, surtout dès qu’il est question de New-York. Ce constat apparaît avec d’autant plus de netteté que parfois, quand la cinéaste prend le temps de laisser une scène se mettre en place, infuser les acteurs et leurs personnages, il se passe quelque chose, un trouble naît d’un regard, d’un geste du corps. Cela rend d’autant plus regrettable que le même soin n’ait pas pu être apporté notamment dans la première partie du film, où le dispositif de correspondance par Skype, artifice éculé rendant difficile toute communication émotionnelle, désamorce tout affect qui pouvait se développer avec et entre les personnages.

Malgré tout, Celine Song ne rate pas l’essentiel de son film, avec une écriture des dialogues, qui, elle, se montre plutôt convaincante, notamment dans la gestion du bi-linguisme de Nora. Elle retrouve le goût de la pratique de sa langue natale grâce à ce lien qu’elle nourrit avec Haesung. Celui-ci est ténu, surtout dans un pays comme les Etats-Unis où les immigrants venant d’Asie vont jusqu’à changer leur nom pour des motifs d’intégration et ne plus pratiquer la langue familiale pour se fondre dans une americana anglo-saxonne bien loin des traditions d’extrême-Orient. Un dialogue illustre bien ce constat, quand Nora explique à Arthur que Haesung est très « coréen » dans sa vision du monde, mais pas coréen comme elle, une version plus traditionnelle qu’elle a abandonnée le jour où sa famille a émigré en Amérique du Nord. En formulant ces mots, elle se rend compte elle-même du chemin parcouru en une vingtaine d’années, elle qui est devenue une nouvelle personne, abandonnant Nayoung dans la sphère du passé, une de ces autres vies qu’illustre le titre du film.

Le motif le plus encourageant est prononcé par Celine Song elle-même : désormais, un film américain peut aussi être cela, une histoire où l’héroïne est d’origine coréenne et où la majorité du texte est lui-même dans cette langue, laissant l’anglais dans ses marges, comme secondaire. Past lives porte haut les couleurs d’une Amérique multi-culturelle qui est plus que le simple itinéraire d’une désormais minorité blanche venue d’Europe, pour embrasser sa diversité jusque dans ses langues vivantes. C’est déjà un pas énorme que de réussir à représenter tout cela à l’écran, avec un casting de première qualité.

Bande-annonce

13 décembre 2023 – De Celine Song, avec Greta Lee, Teo Yoo et John Magaro.


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