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NOS FRANGINS

La nuit du 5 au 6 décembre 1986, Malik Oussekine est mort à la suite d’une intervention de la police, alors que Paris était secoué par des manifestations estudiantines contre une nouvelle réforme de l’éducation. Le ministère de l’intérieur est d’autant plus enclin à étouffer cette affaire, qu’un autre français d’origine algérienne a été tué la même nuit par un officier de police.

Critique du film

Abdel et Malik, plus jamais ça” : les étudiant.e.s des années 80 se rappellent probablement les visages et les noms de ces deux jeunes maghrébins, inconnus l’un de l’autre mais décédés sous les coups de la police lors de la même nuit, au moment des manifestations contre le projet de loi Devaquet pour la réforme de l’université. Symboles des protestations contre les violences policières et de la colère dans la rue, ils ont depuis été rejoints par d’autres – Zyed et Bouna, Assa Traoré, pour ne citer qu’eux ; Rachid Bouchareb leur rend hommage le temps d’un long métrage douloureux qui résonne tristement avec l’actualité, tout en dressant le portrait d’une génération qui a grandi avec SOS Racisme et les premiers débats autour du racisme anti-arabe.

Mélangeant images d’archives et fiction, le réalisateur prolixe (que l’on connaît entre autres pour le très acclamé Indigènes) s’entoure, pour dénoncer le racisme policier, de grands noms du cinéma social franco-arabe – Reda Kateb, Lyna Khoudri – mais aussi de jeunes talents, comme Laïs Salameh, que l’on avait notamment aperçu dans Titane. Ensemble, ils portent un film étrangement feutré, qui laisse la violence au hors-champ et se concentre davantage sur les conséquences émotionnelles de ces drames plutôt que sur leur portée politique. A la différence d’autres films plus spectaculaires sur le sujet ou de la série Oussekine d’Antoine Chevrollier, récemment sortie sur Disney +, Rachid Bouchareb investigue avant tout le flou émotionnel qu’ont généré ces meurtres. La récupération de ces drames par les manifestant.e.s et l’hommage national qui leur sera rendu n’est abordé que par petites touches documentaires, via l’insertion d’images de l’époque ; les acteur.rice.s, elleux, s’occupent d’incarner l’intime, qui se joue loin des plateaux télévisés.

Nos frangins
En faisant le choix d’une temporalité très courte -quelques jours à peine, le réalisateur laisse toute sa place à l’incrédulité, le doute et la douleur familiale (Samir Guesmi y est remarquable de chagrin hébété et impuissant, tandis que Reda Kateb incarne avec force le climax dramatique du film). Au grain chaotique et au vacarme des images d’archives s’oppose le cadre soigné, les couleurs bleutées et le silence du drame privé. Loin du format reportage, le film laisse subsister quelques flottements narratifs : difficile de savoir qui est la famille de qui au début, tandis que l’histoire d’Abdel demeure quelque peu en marge de celle de Malik et que certains personnages, comme les mères des victimes, demeurent absents. Peu importe : il ne s’agit pas tant d’éduquer que de montrer, même imparfaitement.

C’est aussi le portrait de l’espoir d’une jeunesse que brosse le réalisateur, en montrant la vivacité des manifestant.e.s et la combativité des enfants immigrés, là où leurs parents cherchaient à faire profil bas. “La police ment” assène le frère d’Abdel à son père, qui craint pour sa sécurité et lui demande d’être plus malin que les forces de l’ordre. Ponctué de moments d’intensité militante -évidemment accompagnés du morceau Malavida, le film se fait la voix de toute une époque : celle qui croyait encore qu’il était possible de lutter contre le racisme structurel des forces de l’ordre et leur brutalité, et qui, pour la première fois, se retrouvait confrontée aux questions d’intégration.

Visage angélique et lumineux de cette seconde génération, Adam Amara incarne Malik et avec lui, la douleur de la désillusion. La police, que personnifie dans le film le ténébreux inspecteur Mattei (Raphaël Personnaz), bénéficie d’un traitement narratif plutôt clément, qui met l’accent sur l’irresponsabilité des agresseurs et la conscience intranquille des flics racistes. Si l’on regrette un peu cette dénonciation en demi-teinte, on ne peut nier la nécessité de ce long-métrage, qui, malgré quelques ellipses, fait le lien entre le collectif et l’individuel et remet le débat sur la table, 26 ans après les faits, alors que trop peu de choses ont changé.

Bande-annonce

7 décembre 2022De Rachid Bouchareb, avec Reda Kateb, Lyna Khoudri et Raphaël Personnaz.


Cannes 2022De l’écrit à l’écran




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