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NINJABABY

Astronaute, garde forestière, dessinatrice… Rakel, 23 ans, a tous les projets du monde, sauf celui de devenir mère. Quand elle découvre qu’elle est enceinte de 6 mois suite à un coup d’un soir, c’est la cata ! C’est décidé : l’adoption est la seule solution. Apparaît alors Ninjababy, un personnage animé sorti de son carnet de notes, qui va faire de sa vie un enfer…

Critique du film

Si l’erreur est éminemment humaine, le désarroi qui nous habite dès lors que nous sommes confrontés à ses conséquences est sans conteste sa vulnérabilité incarnée.

Second long-métrage de Yngvild Sve Flikke après Women in Oversized Men’s Shirts, Ninjababy est une adaptation libre du roman graphique Fallteknikk de Inga H. Sætre. Avec l’aval de l’auteur, co-scénariste du film, la réalisatrice aura revu l’âge, les ambitions et la situation sociale de son héroïne Rakel – passant d’une adolescente de seize ans très proche de sa meilleure amie à une jeune femme dans une vingtaine quelque peu chaotique, enivrée des plaisirs de la vie en tous genres pour repousser un peu plus loin encore l’échéance délicate des prises de décisions. Parlant ouvertement de plaisir avant d’aborder le sujet de la grossesse, filmant les corps avec une belle intention de montrer la sexualité sous toutes ses formes et sans jugement, l’histoire de Rakel prend ainsi plusieurs dimensions – l’écartant définitivement d’une comparaison trop facile et paresseuse avec le Juno de Jason Reitman.

Trouvant le très juste milieu entre humour et sérieux, combiné aux superbes illustrations animées de Sætre, la grande force de Ninjababy est indéniablement son écriture ; frais et délicieusement irrévérencieux, le film réussit à raconter franchement le double parcours d’une femme et d’une mère en devenir, dans une société moderne qui laisse toujours autant seules celles sur qui le poids des responsabilités pèse le plus lourd.

NINJABABY

ALLÔ MAMAN, ICI NINJABABY

Si dans l’oeuvre originale, l’histoire se concentre autour de Rakel et de sa meilleure amie, le film pose très vite le constat amer que Rakel est, bien qu’entourée, profondément seule. Bordélique, fêtarde et ayant une fâcheuse tendance à dévaloriser la qualité de ses desseins au point d’abandonner ses études d’art graphique, la découverte de sa grossesse déclenche chez ses proches la même réaction :  » c’est une blague ? « . Autour de Rakel, tous lui renvoient l’image d’une impasse, d’une impuissance quant à la situation. Frontalement, la réalisatrice expose le dicta d’une maternité heureuse et merveilleuse, condamnée à échouer dès lors qu’elle sort des schémas classiques d’une parentalité forcément issue du couple (et évidemment, hétéro-normé).

Livrée à elle-même et confrontée à ses propres pensées, apparait alors ce personnage de Ninjababy – figure animée prenant vie à partir des croquis de Rakel et avatar des états d’esprits de la jeune femme retransmis au spectateur. Intervenant dans sa tête, et matérialisant ainsi l’imminence de l’arrivée d’un nouvel être dans la vie de Rakel, ce petit foetus au sarcasme savoureux, représentant la maturité bien présente de la jeune femme sous ses airs inconscients, grandit en importance à mesure que Rakel prend conscience de ce qu’elle souhaite faire, et avec qui. Servi par des dialogues alternant entre un humour cru et une immense gravité, Ninjababy prend des airs d’enfants terribles et merveilleux – entre Allô maman ici bébé et Tout le monde aime Jeanne.

NINJABABY

Pour porter tout le film, l’actrice Kristine Kujath Thorp est extraordinaire. Tantôt drôle, tantôt déchirante, elle incarne à la perfection cette jeune femme revendiquant son désir de ne pas être mère et celui de donner à cet enfant à naître les meilleures chances dans la vie. Très à l’aise dans le registre comique, c’est dans les scènes de confrontation avec ses proches – le père de l’enfant, aussi détestable que lâche en particulier – qu’elle transmet une émotion d’autant plus brute que la mise en scène s’attache à son visage et à ses expressions comme le personnage de Rakel se raccroche à sa persévérance et à sa volonté. On saluera également la performance de Nader Khademi, qui apporte à la farandole de personnages pour la plupart égoïstes un vent de douceur bienvenue – évitant à la réalisatrice de tomber dans l’écueil des rôles masculins unidimensionnels.

« Nous sommes à une époque où tomber enceinte avant 30 ans est inhabituel. Le film traite de la prise de responsabilités, de la maturité et de notre capacité à surmonter toutes les situations. Je crois que beaucoup de femmes ont ressenti la peur de devenir mère, même celles qui l’avaient prévu. » Déjouant le piège de la comédie romantique au dénouement prévisible, farouchement attaché à l’indépendance de son héroïne et parsemé de fulgurances comiques qui restent longtemps en mémoire après visionnage, Ninjababy se niche incontestablement dans le giron des belles propositions cinématographiques de cette rentrée.

Bande-annonce

21 septembre 2022 – De Yngvild Sve Flikke
avec Kristine Kujath Thorp, Arthur Berning et Nader Khademi




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