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NIGHTMARE ALLEY

Alors qu’il traverse une mauvaise passe, le charismatique Stanton Carlisle débarque dans une foire itinérante et parvient à s’attirer les bonnes grâces d’une voyante, Zeena et de son mari Pete, une ancienne gloire du mentalisme. S’initiant auprès d’eux, il voit là un moyen de décrocher son ticket pour le succès et décide d’utiliser ses nouveaux talents pour arnaquer l’élite de la bonne société new-yorkaise des années 40. Avec la vertueuse et fidèle Molly à ses côtés, Stanton se met à échafauder un plan pour escroquer un homme aussi puissant que dangereux. Il va recevoir l’aide d’une mystérieuse psychiatre qui pourrait bien se révéler la plus redoutable de ses adversaires…

Critique du film

Tout juste quatre ans après le triomphe de La forme de l’eau, Guillermo del Toro revient au cinéma avec son onzième long-métrage, Nightmare Alley. Il s’agit de l’adaptation du roman du même nom par l’auteur américain William Lindsay Gresham (1946), lequel avait déjà été brillamment adapté en 1947 par Edmund Goulding, avec l’inquiétant Tyrone Power (titre français : Le Charlatan). Situé en 1939, le film raconte l’histoire de Stanton Carlisle, interprété par Bradley Cooper, un homme mystérieux qui va atterrir dans une troupe de forains itinérants et s’y découvrir un talent certain pour la manipulation.

Si on ne sait pas grand-chose du personnage au début du film, on sait néanmoins qu’il cache probablement un lourd secret, comme nous le fait comprendre la scène d’ouverture. Dans un premier temps mutique, et sans un sou en poche, on le voit s’installer dans cette “foire aux monstres” et gravir les échelons. Habile et bon observateur, il y apprend l’art et les techniques de l’illusion auprès des membres de la troupe qui l’accueillent et lui révèlent leurs secrets.

Malgré un âge déjà avancé pour un personnage sans doute plus jeune dans l’histoire originale, Bradley Cooper est parfait pour camper le rôle de cet escroc discret mais à l’ambition dévorante. L’acteur y fait valoir ses atouts, son physique avantageux et son jeu tout en retenue, une association qui a toujours paru dissimuler une fêlure intérieure, comme une noirceur profonde cachée derrière un masque de charme. On le suit au milieu des contorsionnistes et autres femmes à barbe, voyantes ou mentalistes, un univers totalement fantasmagorique en apparence et pourtant plein d’humanité. Passées l’émerveillement naturel, la peur ou la stupéfaction, les coulisses de ce monde marginal et exubérant nous dévoilent un autre monde tristement réaliste, rongé par la misère de l’époque.

L’HUMANITÉ DES MONSTRES

Il est fascinant de voir à quel point cet environnement de fête foraine semble familier chez Guillermo del Toro, tant son style s’épanouit au milieu des chapiteaux vieillots et des monstres de foires. On y retrouve toute la richesse visuelle d’un cabinet de curiosité à ciel ouvert tel qu’on l’attendrait du cinéaste mexicain. Comme dans tous ses films, le réalisateur utilise l’extraordinaire pour mieux dépeindre l’ordinaire, le merveilleux et les monstres comme révélateurs de la société et de son impact sur la nature humaine. Seulement, cette fois, et c’est une première dans sa filmographie, point de dimension fantastique à l’œuvre. Il s’applique à déconstruire les apparences et nos attentes pour mieux nous asséner la cruelle vérité : les “monstres” ne sont que de simples humains, des artistes de cirques ou de pauvres âmes affamées.

Nightmare Alley

Dans cette univers qui nous replonge dans le Freaks (1932) de Tod Browning, on constate une nouvelle fois que les monstres ne sont pas nécessairement ceux dont l’apparence est la plus inquiétante ou repoussante. Face à ces “bêtes de foires” méprisées par une partie de la population, certains individus des plus séduisants cachent un monstre intérieur autrement plus dangereux.

Ce film rappelle également que derrière chaque illusion, chaque tour de magie, il y a un truc, un secret… et donc une “escroquerie” ! Il révèle les secrets de ces tromperies, que l’on croit, volontairement ou non, tout comme le spectateur de cinéma accepte de se laisser emporter par son imagination le temps du film. À l’instar des foires itinérantes qui sillonnaient les États-Unis durant l’entre-deux-guerres pour divertir les foules, le cinéma est lui aussi un spectacle d’illusion avec, pour le spectateur d’alors ou d’aujourd’hui, toujours le même questionnement : “Comment ont-ils fait ?”

Sans rien dévoiler de l’histoire, d’autant que la bande-annonce n’en fait pas mystère, Nightmare Alley change de décor dans sa deuxième moitié, au moment où le personnage principal part exercer ses nouveaux talents d’escroc dans la bonne société new-yorkaise. Si l’on est triste de quitter les membres de la troupe, ce changement apporte un second souffle au film. La province aride minée par la Grande Dépression laisse ainsi place au faste des hôtels Art déco, avec cette bourgeoisie qui suit de loin l’avènement de la Seconde Guerre mondiale. C’est à ce moment que le film évolue pleinement vers le genre du Film noir.

UN PACTE AVEC LE DIABLE ?

C’est là aussi qu’apparaît dans l’histoire le Dr Lilith Ritter, merveilleusement interprété par la toujours impeccable Cate Blanchett. Malgré l’impression d’avoir déjà vu l’actrice dans ce registre, qui d’autre qu’elle aurait pu donner le charme et la tension nécessaire à ce personnage de Femme Fatale ? Avec ses cheveux blonds ondulés et ses lèvres rouges parfaitement dessinées, elle irradie l’écran dans cette figure incontournable du genre et constitue une complice des plus vénéneuses pour Stanton… D’autant que son regard envoûtant cache, chez elle aussi, une part de ténèbres et de profondes cicatrices.

Nightmare alley
Il faut enfin souligner l’incroyable beauté du film, même si cela deviendrait presque une habitude avec del Toro. Chaque plan, chaque décor, chaque costume, chaque accessoire témoigne d’un travail et d’un soin qui forcent l’admiration. Tout y est maîtrisé, chaque cadre millimétré, le film avance comme une mécanique suisse à la précision sidérante. C’est d’ailleurs peut-être là l’une de ses rares limites : tout y est tellement bien huilé qu’il n’y a pas vraiment de surprise. On apprécie le travail d’orfèvre, mais l’ensemble en devient un peu trop programmatique, et le scénario nous emmène exactement là où on l’attendait. Paradoxal pour un film qui raconte l’histoire d’un homme qui cherche par tous les moyens à échapper à son destin, que de suivre un chemin trop balisé et tracé d’avance. Mais cette faiblesse est une broutille face aux qualités du film et n’empêche surtout pas de l’apprécier pleinement.

Nightmare Alley contient tout ce qui rend le cinéma de Guillermo del Toro si attachant, une absence totale de cynisme dans son récit, ainsi qu’un amour sincère pour ses personnages, les bons comme les mauvais. À commencer par le personnage de Stanton Carlisle, lequel est prêt à tout pour échapper à sa condition, quitte à y laisser son âme. Motivé par son orgueil et son arrivisme, ses manigances sont les reflets sombres de sa personnalité. Avec ce film, le réalisateur mexicain rappelle qu’il est l’un des plus grands lorsqu’il s’agit de bâtir un univers visuel, et qu’il n’a pas son pareil pour surprendre avec des éclats de violences d’une intensité folle. Enfin, comme à ses débuts, il reste un maître pour s’interroger sur la nature de l’âme humaine, et sur ce qui, parfois, fait de nous des monstres.

Bande-annonce

19 janvier 2022 – De Guillermo del Toro
avec Bradley Cooper, Cate Blanchett, Rooney Mara, Richard Jenkins




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