night in paradise

NIGHT IN PARADISE

Alors qu’il se cache sur l’île de Jeju après une violente tragédie, un truand dont la vie est mise à prix se lie d’amitié avec une femme en proie à ses propres démons.

Critique du film

Thierry Frémaux et le festival de Cannes ont inventé une case bien précise ces dix dernières années, celle du film coréen de minuit. On doit ce choix à une profusion de films de genre en Corée du Sud depuis le début des années 2010, et à l’éclosion en parallèle d’un vrai savoir-faire pour des styles très recherchés par le grand public. Si l’on parle habituellement de thriller, on peut aussi mettre en avant les films policiers ou noirs, dont Memories of Murder (2004) de Bong Joonho est en quelque sorte le précurseur.

Si une poignée de films coréens sortent seulement chaque année dans les salles françaises, l’arrivée des plateformes de streaming peut paraître comme une aubaine. Le besoin de remplir les catalogues permettent la visibilité de ces films grand public inédits surfant sur la vague de la K-pop, cette musique hybride au succès planétaire. Park Hoonjung fait partie de ces jeunes réalisateurs qui ont eu de gros succès, notamment par le biais d’un des plus grands acteurs coréens, Choi Minsik (Old boy), qui joue dans deux de ses films, New World en 2013, et The Tiger en 2015.

Park Hoonjung fut également scénariste de J’ai rencontré le diable en 2010, réalisé par le grand Kim Jiwoon. De ce film on retrouve l’acteur Eom Taegoo, qui interprète le premier rôle de Night in Paradise. Jeune acteur très en vu en Corée en sud, Eom Taegoo a beaucoup tourné ces dernières années, tant dans de grandes productions comme The Age of Shadows, toujours de Kim Jiwoon, ou encore A Taxi driver, gros succès avec Song Kangho en tête d’affiche. Mais c’est dans des films plus indépendants comme le beau Adulthood (2018) qu’il obtient enfin le devant de la scène sur grand écran. Chez Park Hoonjung, il revient dans un registre beaucoup plus sombre et délicat, dans la peau d’un chef de gang, très en vu et recherché par les plus grands pontes de la mafia de Séoul, qui doit affronter un deuil, la mort de sa sœur ainée. Dans ce moment de crise Taegoo prend les mauvaises décisions, précipitant son histoire dans le drame et le film noir dans sa plus pure définition.

Night in Paradise
En exil sur l’île de Jeju après avoir précipité une guerre des gangs de manière sanglante, le film prend un tout autre rythme. C’est une des spécifités de A night in paradise : commencer à toute allure, par une scène extrêmement violente qui plante une dramaturgie tout en intensité, puis faire retomber le ton pour s’attacher à tout autre chose. Taegoo rencontre une jeune femme, condamnée à cause d’une grave maladie, nièce de l’homme chargé de le cacher du gang rival qui a soif de revanche. Le parallèle est évident : Taegoo embrasse cette nouvelle relation comme un substitut à celle qu’il a récemment perdu avec le décès de sa sœur. L’un devient le reflet de l’autre et permet une introspection à l’ancien chef de gang qui dans un certain silence remet en question sa vie passée. Cette période du récit est un peu longue et un peu convenue, même si elle ajoute de la profondeur par séquences. La volonté de l’auteur fut sans doute de jouer sur les contrastes, tout en montée d’adrénaline dans les moments clefs.

Malheureusement, pour en arriver là il faut aussi assister à des séquences moins réussies avec le milieu de la pègre séouliote et des personnages plus caricaturaux. Ce creux, volontaire, amène le geyser final qui lui est des plus réussi et un modèle de cruauté. La dernière demi-heure est une succession de plans de renoncement. Park Hoonjung va très loin dans le dépouillement de son personnage principal qu’il rend tour à tour fou de colère puis de douleur, avant de transférer tout cet affect dans celle qui est devenue son amie. Jeon Yeobin, remarquée dans After my death de Kim Uiseok (2017), devient dès lors l’ange noir de la vengeance investie d’une dernière mission. La scène est particulièrement réussie, orchestrée et chorégraphiée avec beaucoup de rythme, bouclant un cycle de violence où la mort est restée en permanence en filigrane.

Night in Paradise
Si le film est une demi-réussite, il faut souligner la qualité plastique de l’image du chef opérateur Kim Youngho, qui sublime la beauté des décors en extérieur de l’île coréenne de Jeju, endroit magnifique parfaitement utilisé dans cette histoire si tragique. On retrouve ici un des points forts des grandes productions coréennes, cet art de la mise en scène pour générer de grands moments de tension dramatique, malheureusement trop soulignés par une musique qui aurait gagné à être plus discrète. Les deux acteurs principaux et les très belles couleurs de Jeju suffisaient amplement pour convier une atmosphère très particulière.

Malgré ces quelques bémols et critiques, il faut reconnaître l’efficacité de ce spectacle généreux, qui a le mérite de tenir sa tonalité de bout en bout, loin de ces comédies policières potaches tant appréciée en Corée du sud. Le trait est ici épais, le noir profond est presque absolu, mais l’intérêt subsiste jusqu’à la dernière seconde. Le plan final rappelle d’une certaine manière le cinéma du mexicain Michel Franco, dans un absolu des sentiments qui débouche sur le pire, voire même l’insoutenable.

Cette radicalité dans le geste est à saluer, loin de tous les compromis de scénario et autres facilités pour délivrer des films plus faciles d’accès, mais bien moins intéressants.

Bande-annonce

9 avril 2021sur Netflix. – De Park Hoonjung, avec Eom Taegoo, Jeon Yeobin et Cha Seungwon.


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