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MORT OU VIF

Carte blanche est notre rendez-vous pour tous les cinéphiles du web. À nouveau, Le Bleu du Miroir accueille un(e) invité(e) qui se penche sur un grand classique du cinéma, reconnu ou méconnu. Pour cette quarantième occurrence, nous avons tendu la plume à Jean-Victor Houët, plume régulière sur CloneWeb. Il profite de l’occasion pour rendre hommage à Mort ou vif de Sam Raimi.

Carte Blanche à… Jean-Victor H.

Tout démarre avec le grand horizon des plaines d’Arizona et un cavalier qui évolue vers la caméra, revenant sans doute d’une aventure pour se rendre à une autre.

Très vite, un homme au visage usé et menaçant va abattre notre explorateur, en lui expliquant après le tir « Vous n’aurez pas mon or, Monsieur ! ». En vérifiant le cadavre, cet excité de la gâchette va être pris par surprise et se faire assommer par ce qui est en réalité une femme, qui le laissera attaché à sa charrette au beau milieu de nulle part pour reprendre sa route sous les menaces de mort et des « Bitch ! » véhéments.

On est alors en 1995, et Sam Raimi donnait le ton dès la scène d’intro : le far west a toujours été un lieu sans pitié pour les hommes, alors imaginez ce qu’il en est quand on est une femme…

Il serait précipité de chanter les louanges de Sam Raimi et de son scénariste Simon Moore sur le simple fait de donner un rôle principal de western à une femme, le genre ayant déjà vu plusieurs incarnations féminines, de Barbara Stanwyck dans Les Furies d’Anthony Mann en 1950 aux récents The Homesman ou Jane Got a Gun, avec Hilary Swank et Natalie Portman, ou encore la série Godless sur Netflix.
Mais en revoyant comment le réalisateur fou d’Evil Dead revisitait ce genre séminal à sa sauce, difficile de ne pas être surpris par la frontalité du film à ce sujet, tant ils mettaient les deux pieds dans le plat dès la scène d’intro, pour mieux tisser cette thématique tout du long.

Lady Vengeance

Mort ou vif (The Quick and The Dead), c’est l’histoire d’une femme qui cherche sa vengeance dans un monde d’hommes, sa quête étant infiniment plus ardue par son simple sexe. Toutes les rencontres et les échanges qu’elle va faire durant son périple s’en trouveront conditionnés, et personne ne la prendra au sérieux, la ramenant toujours à un être plus faible en questionnant systématiquement ses motivations, remettant en cause ses compétences pourtant évidentes.

Quand elle demande une chambre au gérant du saloon, qui ne la voit même pas parce qu’il est de dos et basant donc son intuition sur le simple son de sa voix, il lui répondra que c’est à côté pour les prostituées.

Quand elle passera la première étape du concours de duels qu’elle compte bien remporter, l’organisateur de l’évènement et grand méchant de l’histoire John Herod joué par Gene Hackman l’invitera à dîner pour lui proposer d’arrêter la compétition et de céder à ses charmes en la rebaissant au rôle de femme au foyer, la précédente ayant été tuée car « infidèle ».

Et avant même d’aller à ce dîner, le prêtre incarné par Russell Crowe lui fera une remarque concernant sa coucherie de la veille avec un autre homme et sa soirée à venir, se plaçant tout de suite en grand donneur de leçon alors même que sa fonction l’impute de ne pas émettre de jugement.

Quand aux autres compétiteurs et potentiels adversaires de duels, ils ne manqueront pas une occasion de lui faire des sous-entendus salaces et autres remarques grivoises, qu’elle encaissera la tête haute avec des réponses cinglantes, offrant à l’ensemble des dialogues assez délicieux, les premiers échanges de cartouches étant avant tout verbaux. 

Mort ou vif

Sam Raimi s’était fait clairement plaisir à reconstituer le village typique du western et son défilé de gueules cassées, grâce à un casting de haute volée. Gene Hackman, Russell Crowe et un jeune Leonardo DiCaprio étaient en grande forme, mais il faut saluer les seconds rôles, qui sont un véritable régal entre le tireur à l’as joué par Lance Henriksen (Bishop dans Aliens !), l’inénarrable Keith David en tueur à gages, Mark Boone Junior toujours parfait en taré ou le vieux de la vieille Pat Hingle, lui-même vétéran du western à la télévision américaine entre les années 50 et 70.

Si l’ensemble avait des allures de véritable véhicule promotionnel pour Sharon Stone, alors au top de sa carrière avec Basic Instinct deux ans avant et Casino la même année, sa performance à l’écran a souvent été sujet de débat, son caractère presque monolithique, en tout cas renfermé tel un Clint Eastwood de la grande époque, n’étant pas forcément la partition la plus évidente pour elle tant elle devait afficher une fragilité certaine derrière la carapace de cow-girl.

Puissance iconographique

Cela étant, l’arc dramatique de son personnage avec un passif chargé et un vrai enjeu émotionnel en font sûrement l’un de ses plus beaux rôles, et lui donneraient presque des airs de Furiosa avant l’heure, tant cette femme semble porter tout le poids de la cruauté humaine sur les épaules et fait tout ce qu’elle peut pour s’en démener, à l’image de la petite fille du village qu’elle va essayer d’écarter des sales pattes de l’homme en vain.

Sam Raimi était ici parfaitement conscient de la puissance iconographique du western, et savait combien inverser les rôles avec une femme dans les bottes d’un fin tireur pouvait être vecteur de sens vis-à-vis de la mythologie de l’ouest sauvage. Il en profite pour s’offrir quelques plans symboliques du plus bel effet, où la silhouette de Stone face à un soleil écrasant ou à l’immensité des paysages serait déjà une façon de court-circuiter une imagerie traditionnellement masculine de l’intérieur, sans même parler du scénario dont l’enjeu principal va être de rabattre les cartes de ce microcosme, et donc quelque part du monde par extension.

Une entreprise qui dépasse donc le simple projet thématique pour prendre forme et imprimer directement la pellicule, d’autant qu’en grand réalisateur cartoon, Raimi profite de ce folklore western pour y imprimer son style et remanier la figure mythique du duel, abusant de zooms tordus, de cadres désaxés et parfois même de travellings compensés très rapides pour augmenter l’adrénaline du moment et le suspense insoutenable avant le premier coup de feu.

Comme toujours avec celui qui posera plus tard un véritable jalon du cinéma US moderne dans sa trilogie Spider-Man, le résultat est galvanisant, Raimi rendant à la fois hommage à un pan entier du cinéma américain tout en se l’appropriant pleinement. Jamais on avait vu, et on ne reverra, des duels comme ceux que Mort ou vif, qui parviennent à être familiers tout en ayant une étincelle de folie commune à aucune autre.

Et alors que le cinéma hollywoodien tente de créer de nouvelles icônes féministes, il est toujours de bon ton de revoir un film comme celui-là, qui rappelle que bien avant #MeToo, on pouvait déjà voir des femmes affronter le patriarcat de plein fouet, avec un courage et une détermination toujours aussi salvateurs.

Jean-Victor Houët

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