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MONA LISA AND THE BLOOD MOON

Nouvelle-Orléans. Une jeune fille sort d’un hôpital psychatrique. Elle est dotée de pouvoirs potentiellement dangereux. Seule, elle va devoir apprendre à les maîtriser afin de ne pas mettre en danger les autres et elle-même.

Critique du film

Film fantastique, film d’horreur, western… Quel que soit l’univers dans lequel elle décide de poser ses valises, rien ne semble résister à Ana Lily Amirpour. Ses œuvres, mélanges complexes de références à des cultures et des sous-cultures différentes, dénotent son amour pour le cinéma de genre, le vrai, c’est à dire un cinéma hybride, de série B, mi-horrifique, mi-auteur, un peu extraterrestre. Cela reflète aussi sa propre identité multiculturelle, celle d’une fille d’immigrés iraniens, née en Angleterre avant leur déménagement en Floride et en Californie. Après avoir habilement mêlé société iranienne et l’univers des vampires (A girl walks home alone at night) puis cannibalisme et désert américain (The Bad Batch), Ana Lily Amirpour revient avec un projet tout aussi déluré et surprenant, dont le titre à rallonge annonce la teneur. Cette fois-ci, c’est à La Nouvelle-Orléans que la réalisatrice décide de s’installer et de laisser vivoter ses personnages, tandis qu’elle poursuit dans la veine colorée et américaine qui caractérisait déja The Bad Batch.
Mona Lisa and the blood moon
Avec gourmandise, Amirpour réussit à se saisir brillamment de la vitalité culturelle qui caractérise la Nouvelle-Orléans, qu’elle filme presque uniquement de nuit, et à qui elle insuffle un souffle définitivement plus pop que soul. Baignant dans l’ésotérisme historique de la ville et la lumière surnaturelle d’une lune géante, Mona Lisa and the blood moon illustre une fois de plus la virtuosité de la réalisatrice en manière d’atmosphère et de rythme. Après avoir prouvé sa maîtrise du noir et blanc minimaliste dans l’envoûtant et langoureux A girl walks home alone at night, cette dernière met le pied au plancher pour donner à son troisième film un rythme plus effrené et rompt avec la lenteur qui caractérisait jusque là son oeuvre. Morceaux de dubstep, néons fluos et club de striptease forment la toile de fond de son nouveau récit.

Malgré le changement de ton, on y retrouve l’attention soignée de la réalisatrice pour la bande-son, digne d’un DJ set de 2013, et son amour pour la musique. On se souvient des chansons iraniennes traditionnelles et du rock anglais de White Lies, qui hante de façon récurrente la filmographie d’Amirpour et porte les moments les plus intenses dans A girl… ainsi que dans The Bad Batch. Cette fois-ci, place à l’électro et au heavy metal, tandis que les casques et les platines remplacent les tourne-disques.

Mona Lisa and the blood moon
D’autres motifs récurrents traversent l’œuvre de la réalisatrice irano-américaine et se déclinent ici, comme sa passion pour les anti-héros, les marginaux et les personnages féminins à la férocité létale. Chez Amirpour, les femmes ont des dents, et elles mordent. Mona Lisa and the blood moon est, comme ses deux films précédents, un prétexte à mettre en scène des héroïnes bien moins vulnérables qu’elles n’y paraissent, souvent équipées de super-pouvoirs ou d’armes efficaces.

Pour son troisième film, c’est l’actrice coréenne Jeon Jong-seo, déja hypnotisante dans Burning il y a quatre ans, qui montre les crocs (et s’en sert pour s’empiffrer goulument de burgers, de cheetoos et de pizzas). En évadée d’asile psychiatrique désorientée mais tout sauf naïve, elle livre une performance à la fois drôle et touchante. Plus encore, elle démontre sa capacité à atteindre des sommets d’intensité, comme lorsqu’elle crie “Je n’y retournerai pas” dans la scène du diner, menaçant de faire basculer la comédie dans un registre plus sombre. Tout n’est pas toujours rose : le spectre de la violence masculine, comme toujours, hantent les femmes et les plus fragiles, secondé ici par l’arbitraire policier et la cruauté de l’immigration.

Kate Hudson, fabuleuse en stripteaseuse du bayou pragmatique et vindicative, en fait d’ailleurs les frais, tandis que son fils préadolescent, Charlie (épatant Evan Whitten), évacue sa rage et sa frustration en dansant dans sa chambre couverte de posters. Mais Mona Lisa and the blood moon parle aussi d’amour, un autre thème cher à Ana Lily Amirpour. Cette fois-ci, et pour la première fois, ce n’est pas le couple qui est au centre de l’histoire, mais plutôt la famille, tandis que se croisent des personnages aux âges différents, en quête d’appartenance.

Mona Lisa and the blood moon
Mona Lisa and the blood moon, comme ses frères avant lui, n’est ni un film d’horreur, ni un film d’action, ni un un drame, ni même une comédie : il est tout ça à la fois et bouscule nos habitudes de spectateur.trices ainsi que nos attentes concernant le devenir des personnages. L’hémoglobine, que l’on attend au tournant, au vu du titre sanglant, est résolument absente du paysage, à l’exception de la scène d’ouverture, qui s’amuse avec les codes de la représentation des asiles psychiatriques au cinéma.

A chaque fois que l’on croit pressentir le tournant que va prendre le film, il part joyeusement dans une autre direction, sans pour autant s’éparpiller ni perdre de vue son fil conducteur. “Forget what you know” annonce prophétiquement le fortune cookie du policier bedonnant au début du film. Une maxime qui résume bien la façon d’appréhender l’œuvre d’Amirpour, qui s’affirme avec ce troisième film comme réalisatrice de talent, nourrie de la pop culture d’un monde violent et sans pitié. A dévorer avec un appétit impoli, comme une grande assiette de frites au cheddar.


2022 – De Ana Lily Amirpour, avec Jeon Jongseo, Craig Robinson et Kate Hudson.


DANS LE CADRE DE LA REPRISE DU FESTIVAL DE GERARDMER 2022 à LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE



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