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MILLENNIUM MAMBO

Vicky est une jeune femme partagée entre deux hommes, Hao-hao et Jack. Le soir, elle est employée dans une boîte de nuit pour aider financièrement Hao-hao qui est au chômage. Hao-hao la surveille en permanence, qu’elle travaille ou non. Il vérifie ses comptes, ses factures de téléphone, les messages sur son portable et même son odeur, contrôlant ainsi ce qu’elle fait en son absence. Vicky ne le supporte plus et décide de le quitter pour aller se réfugier chez Jack.

2001 : UNE ODYSSÉE TEMPORELLE

« C’était il y a dix ans déjà. L’année 2001. Le monde entier saluait le XXIe siècle et célébrait le nouveau millénaire ». Sous un tunnel empreint par l’éclairage bleutée des néons, une jeune femme à la démarche fougueuse se meut gracieusement vers l’avant, au rythme d’une musique électrisante de Lim Giong et du balancement de sa chevelure. Plusieurs fois elle se retourne, jette un regard teinté d’inquiétude dans son dos, puis finit par descendre un escalier et plonger dans l’obscurité. 

Dès l’ouverture de Millennium Mambo, sorti précisément en 2001, la voix-off de Vicky annonce autant la promesse d’un nouvel âge qu’un grand saut dans l’inconnu pour un pays et des êtres rompus aux troubles. En transmuant ainsi un récit contemporain en passé proche, Hou Hsiao-Hsien lui confère une perspective autobiographique élargie et enracine l’histoire de Vicky dans celle de toute une génération d’individus. Avec l’ambition sous-jacente de capturer ce qui fait (et fera) l’essence d’une époque.

L’on voit alors bouillonner cette jeunesse taïwanaise de plus en plus mondialisée (le cinéaste poursuit en ce sens le propos de Goodbye South, Goodbye sorti cinq ans auparavant), avide des plaisirs éphémères que procurent l’intérieur onirique des boîtes de nuit, à la faveur de leurs illusions visuelles et sonores. Les visages encore jouvenceaux y sont modelés par les lumières artificielles, tandis que les corps s’entre-choquent sur le flux continuel de sons envoûtants. 

LE NOUVEL ÂGE DORT

La caméra de Hou Hsiao-Hsien n’a pas son pareil pour transmettre l’énergie infusant d’un lieu. La première partie du film, propice aux scènes d’intérieur, est composée de plans  quasi-fixes durant plus que de coutume. En aplanissant l’image, cette caméra érige en véritable plateau de théâtre le modique appartement du couple en crise, où la périlleuse cohabitation des couleurs primaires et la profusion de cadres à l’intérieur du champ, dans un dispositif mondrianesque, n’ont d’autre prétention que de restituer les états d’âme de chacun : la jalousie de l’un, la lassitude de l’autre. Comme preuve de ce formalisme symbolique, les bougies disposées sur la table du salon qui s’éteignent à mesure que s’écoule le temps, pour une passion qui meurt à petit feu.

Le regard porté par le cinéaste sur cette première génération du millénaire, les Millennials dirait-on aujourd’hui, invoque des difficultés liées à une incommunicabilité non seulement intergénérationnelle (les parents sont les grands absents du film) mais aussi et surtout intragénérationnelle (« Il disait :  » Tu es venue de ton monde et tu es tombée dans le mien. C’est pourquoi tu ne comprends pas mon monde. » » relate à un moment la voix-off de Vicky à propos de Hao-Hao, avant que celui-ci ne la questionne : « Nous venons de deux mondes différents, comment peut-on vivre ensemble ? »). Qu’il s’agisse des mixages sonores de Hao-Hao dans l’appartement ou des musiques sans fin du nightclub, le bruit devient omniprésent et cache mal la peur du vide de ces individus en manque de repère.

Millennium Mambo s’éloigne de la chronique sentimentale classique pour évoluer en une lente errance sur la Carte du Tendre de Vicky, incarnée par une Shu Qi si sensuelle et pourtant si insaisissable. Prise dans le flot des passions masculines et des jouissances faciles, elle n’aura de cesse de vouloir fuir une existence exiguë à plus d’un titre. C’est avec Jack, mafieux taiseux, qu’elle parvient à quitter ce confinement forcé et à sortir (littéralement) du tunnel. Sa fuite en avant la mène jusqu’au Japon, recouvert d’un épais manteau neigeux, où elle découvre un monde uniforme et désincarné, à mille lieues du déluge de son et de lumière de son ancienne vie taïwanaise. Ses vieux démons ne sont jamais très loin puisque les trains se succédant à sa fenêtre d’hôtel empêchent la moindre introspection autant qu’ils barrent son horizon. Il faudra être patient pour se trouver une place dans cet univers aux charmes fuyants.

Expérience sensorielle incontestable et œuvre fascinante à plus d’un titre, Millennium Mambo trouve avant tout son intérêt dans son rapport diffracté au temps ; non pas celui que l’on imagine infini et qui finit par nous filer entre les doigts mais, au contraire, un temps qui nous paraît lointain et vient pourtant se rappeler à nous. 


Disponible sur OrangeVOD


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