still_mignonnes

MIGNONNES

LA BOBINETTE FLINGUEUSE EST UN CYCLE CINÉMATOGRAPHIQUE AYANT POUR RÉFLEXION LE FÉMINISME, SOUS FORME THÉMATIQUE, PAR LE PRISME DU 7E ART. À TRAVERS DES ŒUVRES RÉALISÉES PAR DES FEMMES OU PORTANT À L’ÉCRAN DES PERSONNAGES FÉMININS, LA BOBINETTE FLINGUEUSE ENTEND FLINGUER LA LOI DE MOFF ET SES CLICHÉS, EXPLOSER LE PLAFOND DE VERRE DU GRAND ÉCRAN ET EXPLORER LES DIFFÉRENTES NOTIONS DE LA FÉMINITÉ. À CE TITRE, ET NE SE REFUSANT RIEN, LA BOBINETTE FLINGUEUSE ABORDERA À L’OCCASION LA NOTION DE GENRE AFIN DE METTRE EN PARALLÈLE LE TRAITEMENT DE LA FÉMINITÉ ET DE LA MASCULINITÉ À L’ÉCRAN. UNE INVITATION QUEER QUI PROLONGE LES ASPIRATIONS D’EMPOWERMENT DE LA BOBINETTE FLINGUEUSE.

Lolita malgré moi 

“Le cinéma, c’est pas pour nous. Est-ce que tu vois des gens qui nous ressemblent ?” Maïmouna Doucouré soulignait déjà, lors de son émouvant discours aux César en 2017, la nécessité de la représentation à l’écran. À travers son premier long-métrage à la légèreté trompeuse, Mignonnes explore la construction identitaire d’une jeune pré-adolescente de onze ans, tiraillée entre des modèles antinomiques, aussi bien conservateur que (faussement) émancipateur. 

L’hyper-sexualisation à l’écran est souvent l’apanage de récits de jeunes femmes blanches – sans doute car elles incarnent une “norme” de beauté teintée de racisme -, en témoigne le Virgin Suicides de Sofia Coppola et ses nymphettes blondes, ou plus récemment des adolescentes outrancièrement sexualisées de Sam Levinson dans Euphoria. Maïmouna Doucouré délaisse les quartiers bourgeois et se met à la hauteur d’Amy, jeune fille noire musulmane (superbement interprétée par Fatiha Youssouf), élevée en banlieue parisienne. 

Jamais accusateur, Maïmouna Doucouré filme avec empathie le cheminement de sa toute jeune héroïne à qui l’on assigne précocement une identité de femme. De nature timide, engoncée dans des vêtements d’enfant, Amy ressemble en apparence à n’importe quelle fillette de son âge. Étouffée par les injonctions religieuses, la jeune fille trouve refuge auprès d’un groupe de danseuses de son âge, les Mignonnes. Au-delà de la symbolique émancipatrice, la danse permet de placer le corps au centre du récit, et devient un véritable champ de bataille des diktats de la société. 

Le poids des traditions 

À travers ce corps d’enfant s’exprime la question du genre : qu’est ce qu’être une femme ? La présence masculine est quasiment invisible dans le film, mais le poids du patriarcat pèse comme un véritable fardeau. Mignonnes filme une pluralité de femmes, chacune inscrite dans une communauté. La sororité tant recherchée s’incarne dans les rassemblements religieux ou dans les bandes d’amies, mais disparaît aussitôt les limites de la société franchies : ne pas s’accommoder des règles, c’est s’en exclure. 

Ainsi, l’idée de communauté prévaut sur l’individualité de chacune, ce qui impactera profondément la construction d’Amy. Les rassemblements sont d’abord religieux : toutes les femmes communient ensemble, entièrement voilées et évoquent la place de la femme dans la religion. Dès son plus jeune âge, Amy assimile l’idée d’un corps féminin diabolisé – qui plus tard dans le film, sera littéralement exorcisé -, ainsi que l’idée que son destin doit être celui d’une épouse avant d’être celui d’une femme.

Mignonnes

Si la communauté permet à chacune des femmes de veiller les unes sur les autres, elle entretient un système profondément patriarcal où les femmes ne joueraient que le second rôle, en silence. Cachée sous le lit, Amy observe les larmes invisibles de sa mère, contrainte d’accueillir sous son toit la deuxième épouse de son mari. Sa douleur est particulièrement vive, car nécessairement secrète, pour épouser les normes sociales. Issue d’une culture sénégalaise où la polygamie est une pratique courante, Mariam subit sa condition pour ne pas avoir à affronter le regard des autres. Les traditions, aussi bien religieuses que culturelles, théorisent le corps féminin et en asphyxient toute l’individualité. 

Moi, Lolita 

Voulant fuir à tout prix ce modèle féminin, Amy se réfugie dans la danse et les réseaux sociaux. L’émancipation commence d’abord par le vêtement, dont la fonction se révèle pourtant très similaire à celui du voile, à savoir un symbole d’oppression. Le crop-top et le soutien-gorge deviennent ainsi l’étendard de la liberté absolue aux yeux d’Amy, tant répudiée par sa culture religieuse. La peau et les formes sont dévoilées aux yeux du monde, similaire au modèle de féminité transmis par les clips de musique qu’Amy regarde à la dérobée, cachée dans son hijab. Un choc des cultures que l’opinion occidentale prône comme ouvertement progressiste, et qui divise certaines féministes, le plus souvent blanches. 

En dévoilant son corps, Amy pense se le réapproprier. Si le corps devient un symbole d’empowerment (encourageant parfois des mineures à poster des nudes sur les réseaux sociaux, par militantisme), celui-ci profite malgré lui au regard masculin. En effet, Maïmouna Doucouré filme ses très jeunes actrices à travers un regard masculin. La caméra érotise les corps à peine réglé des jeunes filles, filmant en gros plan leurs fesses et leurs seins. En sexualisant outrancièrement des pré-adolescentes de onze ans, Mignonnes interroge sur le regard du spectateur : malgré une volonté factice de sensualité, le film instaure un profond malaise face aux images qu’il projette, bien conscient de leur nature dérangeante. 

Le regard masculin pèse sur le corps féminin, dès le plus jeune âge. Amy et ses amies ont tragiquement assimilés que leurs corps est un objet de convoitise auprès des hommes adultes, s’exhibant pour se sentir plus adultes, et par extension, plus intégrées à la société. Ainsi, après être entrée par effraction dans un laser game, Amy twerke sous les yeux fascinés du propriétaire, si obnubilé par les fesses d’une fille de onze ans qu’il en oublie d’appeler la police et la laisse partir, l’air amusé. La scène en devient glaçante. D’abord, car une fois sortie, le groupe d’amies félicite Amy, devenue cool pour avoir poussé les limites de la bienséance, accentuant l’illusion d’être intégrée au groupe social. Mais surtout car le regard masculin voit à travers une fillette de onze ans une femme sexy, loin d’être insensible à son déhanché particulièrement provocant. 

Pourtant, Amy et ses amies voient ce modèle de féminité comme un modèle d’émancipation. Largement influencées par les médias, les fillettes sont sans cesse confrontées à une sexualisation du corps féminin qu’elles perçoivent comme un absolu à atteindre. L’accès à internet confronte ainsi des jeunes enfants à des modèles qu’ils reproduisent par mimétisme. Pour Amy, les clips vidéos encouragent cette perception de son corps. Elle en assimile les poses, toujours plus érotiques, pour gagner l’approbation des autres : ses copines, mais aussi les likes sur les réseaux sociaux, à travers lesquels elle pense (à tort) devenir quelqu’un. Et il suffit d’un tour sur Tik Tok pour s’en rendre compte : 38% des 11-14 ans ont un compte, et il n’est ainsi pas rare de voir des jeunes filles adopter des comportements jugés “provocants”, encouragées par des commentaires bien souvent masculins. 

Au-delà de la légèreté apparente de son titre, Mignonnes est un film difficile qui aborde avec justesse la construction identitaire d’une jeune fille aujourd’hui. Jamais moralisatrice, Maïmouna Doucouré suit au plus près la construction de sa toute jeune héroïne, perdue entre plusieurs injonctions à la féminité, et condamne l’idée que la société exige toujours quelque chose du corps féminin. Dans ses dernières minutes lumineuses, la caméra libère la petite fille du poids de la société et la regarde enfin comme une enfant, souriante et innocente.

Pour aller plus loin : 

La génération Lolita – Aurélia Mardon

Synopsis : 

Amy, 11 ans, rencontre un groupe de danseuses appelé : « Les Mignonnes ». Fascinée, elle s’initie à une danse sensuelle, dans l’espoir d’intégrer leur bande et de fuir un bouleversement familial…




%d blogueurs aiment cette page :