Microhabitat

MICROHABITAT

Carte blanche est notre rendez-vous pour tous les cinéphiles du web. À nouveau, Le Bleu du Miroir accueille un(e) invité(e) qui se penche sur un thème cinématographique ou audiovisuel qui lui est cher. Pour cette quarante-neuvième édition, nous avons tendu la plume à David Tredler, qui nous avait fait l’honneur d’une entrevue, alors que le Festival du film coréen à Paris, dont il est le chef programmateur, délivrait sa 15ème édition. En grand passionné et spécialiste de ce cinéma asiatique si particulier, il a tenu à revenir sur ce qui fut un coup de cœur en 2018, MicroHabitat de Jeon Go-woon, jeune réalisatrice dont c’était le premier long-métrage.

Bong Joon-ho. Park Chan-wook. Kim Jee-woon. Hong Sang-soo. Na Hong-jin… Lorsqu’on demande à un cinéphile de citer un ou une cinéaste coréen(ne), ce sont toujours les mêmes noms (masculins) qui reviennent. La « nouvelle vague » du cinéma sud-coréen, qui a explosé aux yeux du monde au début du millénaire avec des films comme Oldboy ou Memories of Murder, pour ne citer qu’eux, a installé une génération de réalisateurs qui semblent symboliser à eux seuls le cinéma coréen du XXIème siècle.

Ces dernières années ont pourtant vu fleurir un nombre de jeunes réalisateurs et réalisatrices sur la scène cinématographique coréenne signant des premiers films remarquables, desquels les grands festivals internationaux se sont assez peu approchés jusqu’ici, hormis Berlin qui a projeté dans des sections parallèles le travail de Yoon Ga-eun (The World of Us), Lee Sujin (A Cappella) ou Kim Bora (House of Hummingbird).

Microhabitat
L’un des plus beaux longs-métrages que le cinéma coréen ait produit ces dernières années a justement débarqué en France cette année, via une édition physique chez Spectrum Films et une présence en plateforme sur Outbuster, après avoir été projeté en 2018 sur grand écran au Festival du Film Coréen à Paris. Ce film, c’est Microhabitat, premier long d’une cinéaste trentenaire nommée Jeon Go-woon.

Elle nous embarque dans un voyage à travers sa génération en suivant Miso, trentenaire, donc, qui vit modestement à Séoul en faisant des ménages. Elle a un copain qui rêve de faire de la BD mais à deux, ils n’ont pas assez d’argent pour vivre ensemble. Miso ne voit pas trop d’inconvénient à vivre ainsi, seule dans son minuscule appartement, tant qu’elle peut profiter de ses deux grands plaisirs, ses clopes et son verre de whisky. Mais lorsque son loyer grimpe en même temps que le prix de son paquet de cigarettes, Miso sait qu’elle ne peut plus vivre comme avant.

Plutôt que de dire adieu aux clopes, elle prend ses affaires et quitte son appartement, décidant d’aller squatter chez ses vieux amis de fac, à droite et à gauche, le temps d’économiser et de pouvoir retrouver un logement. Commence alors un voyage urbain et social pour elle, car ses amis ont tous des vies bien différentes. Avec elle, nous allons explorer et observer cette génération de trentenaires coréens, de la « célibattante » obnubilée par sa carrière à la femme au foyer qui vit chez ses beaux-parents, du divorcé dépressif à l’éternel célibataire habitant toujours chez papa-maman ou à la femme mariée heureuse et riche.

Chaque génération est confrontée au regard de la suivante, en Corée du Sud comme ailleurs. La société dans laquelle Miso a grandi et évolue voudrait que la jeune femme emprunte une autre voie que celle qu’elle choisit. Miso privilégie les petits plaisirs de la vie plutôt que le confort ou la santé. Elle refuse de se laisser dicter sa conduite par le regard des autres.

Microhabitat
Microhabitat est donc un portrait de femme iconoclaste (justement incarnée par l’actrice Esom) au regard de la société coréenne. Et si l’œil de la réalisatrice offre souvent une amertume certaine, elle dégage des émotions et des couleurs qui en font un film doux, émouvant, tout en maîtrise dans son discours, son ton, ses personnages, sa mise en scène.

A travers Miso, c’est le portrait de toute une génération de coréens qui se dessine, une évocation drôle et tendre de trentenaires qui cherchent leur place d’adulte dans une société où ils se sentent déjà nostalgiques de leurs 20 ans et de l’insouciance qui les accompagnaient alors. Aujourd’hui, ils se trouvent dans une position où leurs aînés, et la société en général, voudraient qu’ils rentrent dans le moule préexistant creusé avant eux, en dépit de l’époque, en dépit de leurs envies.

D’un œil français, le film est passionnant à observer pour ce regard qu’il brosse d’une société parfois similaire à la nôtre (la difficulté de se loger, la précarité qui se généralise), parfois différente (l’endettement pour l’éducation, la difficulté économique très prononcée de vivre en couple).

Microhabitat est bien un portrait de la Corée urbaine d’aujourd’hui, pessimiste par bien des aspects, mais surtout touchante, vivante, romanesque. C’est un premier film d’une précision, d’une cohérence, d’une justesse qui affirment déjà la voix d’une réalisatrice. Une réalisatrice qui apportera certainement beaucoup au cinéma coréen dans les années à venir.

Il faut maintenant que les grands festivals internationaux soient plus audacieux dans leur approche du cinéma coréen, et qu’ils creusent plus loin que le sillon de la génération précédente, des grands noms et des séances de minuit. Le cinéma coréen ne se résume pas à Park Chan-wook, Bong Joon-ho, Hong Sang-soo et consort, aussi passionnants soient leurs films. Une génération est là, de femmes et d’hommes tissant un cinéma coréen neuf et remarquable. Microhabitat en est l’une des plus belles preuves.

David Tredler

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