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MAUVAISES FILLES

Insoumises, rebelles, incomprises ou simplement mal-aimées. Comme tant d’autres femmes, Édith, Michèle, Éveline et Fabienne ont été placées en maison de correction à l’adolescence. Aujourd’hui, portée par une incroyable force de vie, chacune raconte son histoire et révèle le sort bouleversant réservé à ces « mauvaises filles » jusqu’à la fin des années 1970 en France.

Critique du film

Elles sont toutes passées par les congrégations du Bon Pasteur où elles ont enduré brimades et humiliations, ajoutant la détresse à la solitude. 50 ans après elles témoignent. Leur parole, forte et digne, cache mal une colère que le film, sans jamais tourner au réquisitoire, porte jusqu’à nous.

L’ordonnance du 2 mai 1945, relative à l’enfance délinquante, fixe les règles de procédure pénale spécifiques aux mineurs. L’éducation surveillée devient distincte de l’administration pénitentiaire. Dans les faits, filles et garçons ne sont pas « logés » à la même enseigne. L’État envoie les garçons dans des internats publics et place en priorité les filles dans des établissements religieux dans le but de garantir leur bonne conduite. Émérance Dubas a retrouvé quatre d’entre elles. Les années passées n’ont rien effacé du traumatisme, au contraire. Elles se demandent aujourd’hui quel courage, quelle force et quelle résistance la jeunesse leur a accordées pour traverser ce cauchemar. Discipline de fer, claustration, privations élémentaires, les sœurs de ces congrégations ne faisaient pas dans la nuance. Mauvaises filles dresse un implacable constat jusqu’à renverser d’une cruelle ironie l’adresse de son titre.

Violence systémique

Michèle accomplit, pour les besoins du film, un pèlerinage sur les lieux de son adolescence perdue. Elle était une fille placée, sans histoire, conduite dans l’anonymat du dortoir par une mère dépassée. Elle est accompagnée de sa petite fille qui découvre les conditions extrêmes d’une adolescence au ban de la société, sans amour, sans intimité, ne parlons même pas de confort. Une séquence finale la montre entourée de sa filles et ses trois petites-filles. Michèle a accepté de témoigner pour elles. Belle séquence au coeur de la mémoire où deux d’entre elles lisent le journal intime de leur grand-mère, à la fois médusées et fières. Michèle a fini par trouver sa place qu’elle a longtemps rêvée derrière les hauts murs de l’institution : « mon lit était devant une fenêtre, je voyais les trains passer au loin, je me faisais mon cinéma ».

Mauvaises filles
Eveline est un peu plus jeune mais sa parole recoupe celle de son aînée. Enfant de l’Assistance publique, violée à 11 ans par un voisin, elle est placée sous l’autorité des sœurs du Bon Pasteur du Mans. Elle demande à accéder à son dossier et découvre les lettres de ses parents interceptées, les colis non acheminés. De nouveaux éléments qui viennent bousculer les ressentiments et alimenter une colère qui ne l’a jamais quittée. « On avait rien reçu, on n’a rien eu à donner à nos enfants, c’est terrible ».

Devant la caméra, la parole se libère. C’est notre histoire à tous, l’histoire d’une violence systémique. La trace indélébile d’une société qui ne concède rien aux femmes souvent victimes de double ou triple peine. On pense à d’autres filles fracassées dont le cinéma s’est fait l’écho il y a vingt ans, celles de The Magdalene Sisters, le film de Peter Mullan.

L’enfer et la honte

Fabienne est filmée chez elle. Elle a vécu les dernières années du Bon Pasteur, dans les années 70. Son témoignage est d’abord empli d’une pleine énergie. Elle affirme que son expérience l’a endurcie, que sa jeunesse était plus forte que tout. Et puis, peu à peu, le visage se tend, la voix se fragilise. Elle raconte alors la tentative de fugue et les semaines à l’isolement. La sortie enfin et le piège des réseaux de prostitution. Les viols à répétition, l’avortement clandestin. « J’avais 18 ans et j’étais d’accord pour mourir ». Une ambulance providentielle en a décidé autrement.

D’Édith, nous n’entendrons que la voix cristalline. Elle se souvient de son « internement » en 1933. Elle avait 6 ans. Emérance Dubas a pu filmer la maison du Bon Pasteur de Bourges, l’une des rares encore dans son jus, juste avant qu’un projet immobilier n’efface définitivement toute trace de cet enfer. Elle en tire des images d’une indicible tristesse. Il faudrait trouver un mot pour dire le contraire de la nostalgie. La honte.

La réalisatrice a trouvé la juste distance pour enregistrer la parole de ces femmes. Elle s’autorise une brève séquence musicale. On découvre, aux murs du cachot, les graffitis laissés comme des encouragements muets par les pénitentes à leurs suivantes. Tenir ensemble, se serrer les coudes, faire corps, Mauvaises filles est aussi, en creux, une belle affaire de solidarité.


23 novembre 2022 – Documentaire d’Émerance Dubas.




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