Malmkrog

MALMKROG

Nikolai, grand propriétaire terrien, homme du monde, met son domaine à la disposition de quelques amis, organisant des séjours dans son spacieux manoir. Pour les invités, parmi lesquels un politicien et un général de l’armée Russe, le temps s’écoule entre repas gourmets, jeux de société, et d’intenses discussions sur la mort, l’antéchrist, le progrès ou la morale. Tandis que les différents sujets sont abordés, chacun expose sa vision du monde, de l’histoire, de la religion. Les heures passent et les esprits s’échauffent, les sujets deviennent plus en plus sérieux, et les différences de cultures et de points de vues s’affirment de façon de plus en plus évidentes.

Critique du film

Six personnages présentés comme six tableaux d’un même ensemble, chacun une prolongation thématique du précédent, entre philosophie, morale et religion. Malmkrog est, il faut le dire toute de suite, un effort. Tout d’abord, il représente un travail titanesque pour l’auteur, Cristi Puiu, qui a désiré cette adaptation du livre de Vladimir Soloviev, Trois entretiens. La technicité et l’érudition sont les premiers mots qui viennent à l’esprit dans les premiers instants du film. Il est question de mise à niveau : en effet, la langue est maîtrisée. On se trouve dans une époque suffisamment lointaine, une fin de XIXème siècle jamais vraiment précise, dans une maison aristocratique russe où l’on parle français pour converser entre amis. Mais la profusion linguistique ne s’arrête à cela, des mots d’allemand, de russe ou de roumain ponctuent les échanges, essentiellement dès qu’il n’est plus question des « grands sujets ».

Joutes de l’esprit

Car en effet, ce petit aréopage se lance dans une conversation qui semble sans fin sur ce qu’on pourrait appeler les grands thèmes de leur époque. La guerre, la religion, et il faut un temps d’adaptation pour bien réaliser que la courtoisie apparente cache des feux ardents entre chaque protagonistes. Le chapitrage qui épouse les personnages permet au metteur de scène de mettre en valeur chacune de ses prises de position, et il semble prendre du plaisir à démontrer que dans l’extrême courtoisie de cette époque, les mots sont cinglants et sans pitié.

On pourrait citer cette jeune roumaine, dévote et représentante d’une réforme religieuse qui revisite les Évangiles. Ses arguments sont la cible de l’hôte, Nikolaï, qui sous sa bonhomie apparente étrille avec une violence étonnante chaque idée de sa convive. Ces joutes sont mises en valeur par la caméra qui tournent autour des orateurs comme s’ils étaient des combattant dans une arène sportive. L’énergie déguisée de ces échanges se matérialise par instant, comme lors de l’évanouissement de la jeune femme, ou par l’irruption de bruits dans la maison qui font sortir d’une bulle ouatée que rien ne semblait pouvoir contrarier.

Les détails signifiants

Cristi Puiu a un autre mérite dans Malmkrog, c’est sa capacité à organiser et orchestrer les détails et les personnes qui en sont responsables. Si ces grands aristocrates se démènent sur les problèmes de leur temps, à leurs cotés se trouvent tous ces gens de maison, employés silencieux dont le rôle dans le champ est dévoué à ces nobles érudits. Boissons, nourriture, préparation du dîner, travail invisible ininterrompu, ils ne sont tout d’abord que des silhouettes mutiques. Mais l’auteur roumain ne les traitent pas comme de simples ombres bien longtemps. Il prend également le temps de les présenter dans la dureté de leur activité, dans le rôle bien réel qu’ils entretiennent dans la maison. Au delà de ça Istvàn, majordome qui a droit à son chapitre dans le film, est un élément central de l’histoire. Il est le centre de cette économie de gens de maison, impitoyable et rude, d’une concentration presque terrifiante.

Malmkrog

Ces personnages et la dichotomie qui existent entre eux et les aristocrates lettrés, se révèlent dans une scène où la violence semble devoir mettre un terme à l’abstraction des débats. Ces quelques minutes sont tellement fugaces, une ellipse en plein milieu du film, qu’elles s’apparenteraient presque à une hallucination. L’espace d’un instant, les mots et les concepts sont remplacés par le bruit des coups de feu, et la mort remplace les privilèges de la naissance. Cette scène est troublante car elle constitue une véritable rupture dans la narration et permet de relativiser la teneur toute sérieuse de cette longue discussion entre gens avertis. Certes, on parle de guerre avec lyrisme dans un boudoir de grande classe, mais les conséquences de ce bellicisme peuvent faire irruption dans le plan pour rappeler leur réalité funeste.

Cristi Puiu est sans conteste un réalisateur ambitieux et l’un des plus singuliers de la nouvelle vague roumaine. Malmkrog poursuit le questionnement formel présent dans le très beau Sieranevada, et dans son premier coup d’éclat, La mort de Dante Lazarescu. Avec lui, l’effort inaugural est toujours récompensé, les fruits récoltés sont d’une grande saveur intellectuelle, et prouve la vitalité de la grammaire cinématographique dans la Roumanie contemporaine.

Bande-Annonce

8 juillet 2020 – De Cristi Puiu, avec Frédéric Schulz Richard, Diana Sakalauskaité, Marina Palii




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