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MA NUIT CHEZ MAUD

Un ingénieur goûtant le calme d’une ville de province éprouve une très grande attirance pour une jeune femme indépendante. Mais il a décidé d’en épouser une autre.

Critique du film

Quatrième des Six contes moraux, série réalisée entre 1962 et 1972, Ma nuit chez Maud n’est que le troisième long-métrage d’Eric Rohmer, après Le Signe du lion et La Collectionneuse mais demeure aujourd’hui un des sommets de sa riche filmographie et continue de fasciner des générations de cinéphiles grâce à son charme désuet et sa beauté intemporelle.

Cherbourg a ses Parapluies, Limoges a Quelques jours avec moi, Lyon a son Horloger de Saint-Paul et Clermont-Ferrand a sa nuit chez Maud (aussi Le Chagrin et la pitié mais c’est un peu moins reluisant). Le choix d’Eric Rohmer était en pleine cohérence avec son sujet, le film étant largement inspiré par la figure de Blaise Pascal, né il y a 400 ans dans la capitale auvergnate (la ville se prépare à célébrer cet anniversaire).

Religion, mathématique et hasard sont au centre de cette intrigue philosophico-sentimentale. Jean-Louis, ingénieur, est revenu à Clermont-Ferrand depuis quelques mois, recruté au siège de l’entreprise Michelin. Catholique pratiquant, il se rend régulièrement à la Basilique Notre-Dame du Port pour suivre la messe. C’est là qu’il remarque Françoise et se promet, si le hasard veut bien la mettre sur son chemin, de devenir son mari. Mais c’est sur Vidal que Jean-Louis tombe en entrant dans un café où il n’ont, ni l’un ni l’autre, leurs habitudes. La fortuité de leurs retrouvailles n’est pas anodine. La conversation tourne bientôt autour de Blaise Pascal et des Pensées que Jean-Louis est justement en train de relire. Plus précisément de l’argument du Pari à propos duquel les deux hommes devisent, l’un avec un regard de mathématicien, l’autre de philosophe marxiste. La théorie de Blaise Pascal vise à soutenir que, puisque l’existence de Dieu n’est pas vérifiable, il convient d’y croire (c’est là qu’est le pari), on a tout à y gagner (le Paradis, au bout du compte) et peu à perdre. Mais surtout, il faut nécessairement choisir, entrer dans le jeu.

Dans la ville blanche

Après avoir placé son film sous le signe de l’austérité, Rohmer va s’employer, sans jamais abdiquer la rigueur, à l’éclairer de l’intérieur par un sens du jeu permanent. Vidal entraîne Jean-Louis chez son amie Maud, mère célibataire et divorcée, modèle de femme libre et autonome (elle est médecin), un des rares marqueurs historiques dans un film sur lequel les récents événements de mai 1968 semblent n’avoir laissé aucune trace. C’est la veillée de Noël, alors que la neige recouvre peu à peu la fuligineuse pierre de Volvic, inversant la polarité chromatique de la ville, commence dans l’appartement de Maud une mémorable soirée où vont se mêler résistances morales et jeux de séduction. La présence de Jean-Louis introduit dans le couple d’amis/amants que forment Maud et Vidal une salutaire fantaisie. Vidal se plaît à présenter l’homme comme une curiosité, un paradoxal Don Juan pétri de valeurs morales. Chez Rohmer, la séduction passe autant par les mots que par les corps. Sous le feu des questions, Jean-Louis se récrie souvent mais avoue beaucoup s’amuser. Entre les divergences des deux hommes, Maud adopte une position amusée et distanciée. Athée, elle fait valoir une tradition de libre pensée dont Vidal essaye de pointer le dogmatisme par l’absurde.

Ma nuit chez Maud

À la brillante conversation qui anime le trio vient s’ajouter une malicieuse chorégraphie des corps. Tandis que Jean-Louis en invité poli, se tient sagement assis sur sa chaise, Maud et Vidal se prélassent sur le divan dont on ne tardera pas à comprendre qu’il s’agit du lit de Maud. Vidal semble toutefois mal à l’aise, il boit beaucoup et son corps prend des positions grotesques, aussi raide que les postures intellectuelles que défend l’homme. Il finit par s’éclipser, conjurant Jean-Louis de rester – il le pousse littéralement dans un fauteuil – à cause de la neige qui rendrait son retour en voiture, sur les hauteurs de la ville, dangereux. Maud insiste également, elle est désormais couchée, seulement vêtue d’un grand t-shirt aussi blanc que la couverture et que le manteau neigeux qui recouvre la ville.

À rebours des clichés rohmériens

Le film ne quittera plus cette atmosphère douillette qui en fait aussi le charme. Jean-Louis est-il un jouet entre les mains provinciales donc forcément guettées par la routine de Maud et Vidal ? Notons au passage quelques traits du cinéma de Rohmer qui vont à l’encontre des clichés qui l’accompagnent souvent. Cinéma bavard : certes les mots ont de l’importance mais ils n’entravent jamais les actes, au contraire, ils les motivent ou les analysent. Pour le dire vertement, chez Rohmer, ça cause et ça baise. Et parfois dès le premier soir, comme en atteste l’attitude rentre-dedans de Maud. « Quand c’est oui, c’est oui » dit-elle. La réplique sonne aujourd’hui comme un sommet d’audace. Cinéma intellectuel : les pulsions devancent bien souvent la réflexion. Jean-Louis décide que Françoise sera sa femme, « l’idée m’est venue, brusque, précise, définitive ». Si la pensée éclaire la vie, elle ne la domine jamais.

Le hasard est souvent maître dans les films de Rohmer, c’est à son seul bon vouloir que Félicie confie sa destinée dans Conte d’hiver. Dans cette nouvelle variation autour du pari pascalien, plus de vingt ans après Ma nuit chez Maud, la jeune femme a bêtement perdu la trace de Charles, pourtant elle fait le choix de renoncer à toute autre histoire dans l’espoir de recroiser son chemin : « ça m’empêchera de faire des choses qui m’empêchent de le retrouver ».

MA NUIT CHEZ MAUD

Conflit cul culte

La fin de soirée chez Maud est traitée en pure comédie, Jean-Louis s’enveloppant dans une couverture comme on se drape dans sa dignité avant de se coucher, sur le lit et sous le regard, mi amusé, mi humilié de Maud. Avant cela Maud avait confessé la mort brutale et accidentelle de son amoureux quelques mois auparavant et Jean-Louis dévoilé l’existence d’une jeune femme blonde à laquelle il est déjà fidèle. Nous n’avons pas encore dit que les deux personnages sont interprétés par Françoise Fabian et Jean-Louis Trintignant, canons de beauté et de charisme qui donnent au film une puissance érotique exceptionnelle et confèrent à cet impossible amour des accents de tragi-comédie existentielle.

La séquence de la soirée n’occupe qu’une moitié du métrage, à peine plus peut-être, mais c’est, avec l’épilogue, celle qui reste tant elle concentre les jeux et enjeux du film que l’on peut schématiser ainsi : l’attirance de Maud confrontée à la résistance de Jean-Louis ou la quintessence du conflit cul culte. Pour donner de la valeur au choix de ce dernier, il fallait une Maud irrésistible et Rohmer filme Françoise Fabian dans toute se beauté espiègle augmentée de la grâce de ses blessures secrètes.

Au fantasme d’un amour parfait, Ma nuit chez Maud oppose la certitude d’un amour absolu. L’un et l’autre sont le vecteur d’une égale fascination qui fait tout le sel de ce film foudroyant d’élégance.


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