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LOST HIGHWAY

Fred Madison, saxophoniste, soupçonne sa femme, Renee, de le tromper. Il la tue et est condamné à la peine capitale. Le film raconte l’histoire de cet assassinat du point de vue des différentes personnalités de l’assassin lui-même.

The Black Lodge

L’échec critique et public de Twin Peaks: Fire walk with me aurait pu avoir de grandes conséquences sur la carrière de David Lynch. Pas tant par l’argent mis en jeu que par ce que ce film représentait pour le metteur en scène, qui s’était attaché à la figure de Laura Palmer bien plus qu’à tout autre personnage de sa filmographie et dont son métrage débordait d’amour et d’empathie pour elle (et pour Sheryl Lee dont la contribution à la construction de son rôle est toujours dramatiquement sous-estimée de nos jours). Mais Lynch a l’expérience des déboires au cinéma – Dune et sa production chaotique – et après avoir fait le deuil (temporaire) de sa saga phare, il put se consacrer rapidement à son prochain film, pensé… durant le tournage de Fire walk with me.

Aidé au scénario par Barry Gifford – l’auteur de la saga Sailor et Lula dont Lynch adapta le premier tome et obtint la Palme d’Or en 1990 – le Missoulien imagine l’histoire d’un homme nommé Fred Madison (joué par Bill Pullman), saxophoniste à ses heures perdues, qui se persuade que sa femme Renée (Patricia Arquette) le trompe. En parallèle, Renée et Fred reçoivent une cassette vidéo montrant leur maison de l’extérieur. Puis une deuxième montrant aussi l’intérieur. Jusqu’à la troisième et dernière. A partir de là, Lynch brise cette narration linéaire et envoie le spectateur dans les limbes de la logique humaine et des rêves mortifères, jusqu’au final endiablé que tout le monde connaît.

David Lynch a toujours su se renouveler film après film pour proposer des genres et des formes différentes tout en continuant à évoquer peu ou prou les mêmes thématiques depuis Eraserhead (la perte de l’innocence, l’hypocrisie de la société américaine, la dissociation des psychismes, les violences faites aux femmes par des hommes faibles, etc.). Depuis le final de Twin Peaks, le style de Lynch s’est cependant affiné et aiguisé, devenant plus sombre, plus lent et plus acerbe, sans pour autant que le réalisateur ne perde de vue l’importance d’une bonne narration et d’une bonne mise en scène. Lost Highway représente parfaitement cela : sachant où il emmène le spectateur, Lynch se permet de mettre l’accent sur les transitions, les effets visuels, et sur la direction d’acteurs qui jouent ici parfaitement leurs compositions, Bill Pullman et Patricia Arquette en tête.

Toujours dans la forme, Lynch poursuit ce qu’il avait expérimenté dans Fire walk with me, avec l’épisode Deer Meadows, en l’étirant sur un film entier. En choisissant deux points de vue sur la même histoire et en modifiant les emplacements de chaque personnage par rapport à une situation donnée, il permet à Lost Highway de se régénérer en milieu de film et de surprendre constamment ; et le final récompense le spectateur de sa patience, avec l’énigme de début résolue et la possibilité de revoir l’ensemble avec un œil neuf où de nouvelles découvertes sont possibles, le transformant ainsi en détective amateur (et actif) qui plonge tête la première dans ce gouffre psychique.

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L’aspect très dense et déstructuré du film ne doit cependant pas faire oublier que Lost Highway est le film le plus dur que Lynch ait tourné avec Fire walk with me (il doit donc être vu avec prudence) mais aussi qu’il réserve des moments de cinéma magiques. Des plans fous (l’entrée de Pete dans la maison de Dick Laurent), des séquences romantiques fantastiques (la première rencontre entre Alice et Pete dans le garage sur This Magic Moment de Lou Reed), l’ambiance tendue et sombre de la première partie, la fuite en avant nocturne où Pete perd définitivement pied… Quand on évoque Lynch, on oublie parfois de parler de son sens de la mise en scène et de la composition des cadres au détriment de l’aspect déstructuré de ses films. Or, si ses films n’étaient que de la narration éclatée sans mise en scène marquante, ils seraient oubliables. Le tout soutenu par les prestations des acteurs et des actrices, ou encore par l’OST, qui parvient à mélanger du David Bowie, du Rammstein, du Marilyn Manson (petit caméo d’ailleurs dans le film) et du Lou Reed en plus de compositions originales d’Angelo Badalamenti (gloire à lui) avec réussite.

Si Lost Highway n’est pas le Lynch le plus accessible, il n’en reste pas moins fascinant à voir et à revoir si l’on fait l’effort de s’y plonger à corps perdu. Film noir hommage aux années 50 (qui fascinent Lynch comme le montrait déjà Blue Velvet), drame sur la paranoïa et la perversion, Lost Highway est beaucoup de choses et est surtout un superbe film maîtrisé de bout en bout par un réalisateur au sommet qui touchera les étoiles quatre ans plus tard avec l’immense Mulholland Drive, l’histoire d’un rêve hollywoodien cachant un cauchemar cruel.


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