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L’OMBRE DE STALINE

Pour un journaliste débutant, Gareth Jones ne manque pas de culot. Après avoir décroché une interview d’Hitler qui vient tout juste d’accéder au pouvoir, il débarque en 1933 à Moscou, afin d’interviewer Staline sur le fameux miracle soviétique. A son arrivée, il déchante : anesthésiés par la propagande, ses contacts occidentaux se dérobent, il se retrouve surveillé jour et nuit, et son principal intermédiaire disparaît. Une source le convainc alors de s’intéresser à l’Ukraine. Parvenant à fuir, il saute dans un train, en route vers une vérité inimaginable…

Critique du film

Avant-dernier film d’Agnieszka Holland (Son dernier film Charlatan n’est pas encore sorti), L’Ombre de Staline, tourné en 2019, s’inspire librement de la vie de Gareth Jones, journaliste gallois. Et, plus précisément, de la découverte qu’il fit de l’Holodomor et de l’alerte qu’il lança via un communiqué de presse afin d’informer l’opinion des exactions commises par le régime stalinien.

L’Holodomor c’est cette famine qui terrassa des millions de victimes (entre 2 et 6 millions, selon les estimations) en Ukraine et dans le Kouban en 1932 et 1933 et entraîna également une partie de la population de ces régions à se livrer à l’anthropophagie pour survivre. L’aspect intentionnel, de la part du gouvernement, d’instaurer cette famine fut longtemps controversé, voire nié.

A la fois film dossier et film romanesque, L’Ombre de Staline est mené de main de maître par Agnieszka Holland. Cette cinéaste polonaise, qui débuta comme assistante de Krzysztof Zanussi et d’Andrzej Wajda avant de réaliser ses propres films (Le Complot, Europa Europa, Le Jardin Secret) a aussi  tourné plusieurs épisodes de prestigieuses séries TV aux Etats-Unis (The Wire, Treme, The Killing, House of cards). D’où un grand sens de la narration, une facilité à aller rapidement à l’essentiel et à installer une ambiance, un climat. 

Le film bénéficie d’une très belle reconstitution d’époque et l’aspect historique du film s’avère passionnant. On y croise entre autres le premier ministre britannique Lloyd George, Eric Blair, alias George Orwell s’apprêtant à écrire « La ferme des animaux », allégorie sur le totalitarisme ou William Randolph Hearst (le magnat de la presse qui inspira le personnage de Citizen Kane à Orson Welles). 

La première partie se déroule dans des décors somptueux d’hôtels de luxe où sont confinés les journalistes étrangers à Moscou. Mais très vite la magnificence de ces lieux ne peut occulter l’atmosphère vénéneuse qui y règne : entre parties fines et drogues dures, tout semble prétexte à se détourner de certaines vérités dérangeantes. La seconde partie nous fait découvrir les terribles secrets qui se trouvent en Ukraine. La cinéaste ne s’appesantit pas inutilement sur les horreurs indescriptibles de cette époque, mais les évoque avec beaucoup de sobriété. 

Dans le rôle titre (Le titre original du film est Mr Jones), James Norton compose un personnage naïf et roublard à la fois. Un homme à la recherche de la vérité et qui se trouve confronté à un cas de conscience qu’il ne pouvait prévoir. Son engagement, sa détermination et son intransigeance lui coûteront cher et il ne faudra pas manquer le générique de fin qui précise ce qu’il advint de Gareth Jones après ses révélations. Walter Duranty qui remporta le prix Pulitzer pour ses reportages sur l’Union Soviétique est joué par Peter Sarsgaard, qui restitue tout le cynisme et la veulerie d’un personnage prêt à vendre son âme de journaliste. 

Formellement, L’Ombre de Staline est également très réussi, bénéficiant d’une belle photographie de Tomasz Naumiuk et d’une musique d’Antoni Lazarkiewicz  parfois oppressante. Film nécessaire et instructif sans être didactique, mais au contraire prenant comme un thriller interrogeant sur le journalisme, l’histoire et l’intégrité, L’Ombre de Staline, a le mérite de revenir sur un épisode méconnu et terrible de l’entre deux guerres. 

Bande-annonce

22 juin 2020 – Réalisé par Agnieszka Holland, avec James Norton, Vanessa Kirby, Peter Sarsgaard




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