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LITTLE PALESTINE, JOURNAL D’UN SIÈGE

Suite à la révolution syrienne, le régime de Bachar Al-Assad assiège le quartier de Yarmouk (Damas), plus grand camp de réfugiés palestiniens au monde. Yarmouk se retrouve alors isolé et le réalisateur témoigne des privations quotidiennes, tout en rendant hommage au courage des enfants et des habitants du quartier.

Critique du film

Pour un regard extérieur, Yarmouk est un sujet magnifique ; mais pour Abdallah Al-Khatib, c’est avant tout son foyer. Ce quartier de Damas, capitale de la Syrie, avait pour particularité d’abriter la plus grande communauté palestinienne en exil, rêvant de retourner un jour sur ses terres. Le premier plan de Little Palestine recueille en son sein des détails bouleversants. Une rue moderne, deux voies de circulation, et des dizaines de personnes qui marchent, vaquant à leur quotidien. Soudain, l’image cède la place à un changement d’état pour cette rue. Son aboutissement est bouché par une immense barricade bricolée, délimitant une zone frontière avec le reste de la ville, isolant Yarmouk et ses habitants. Sans transition, on passe d’une capitale du proche Orient à une zone de siège, fiévreuse et gangrénée par un mal atroce : la faim.

Little Palestine
Cette donnée est une sorte de fil rouge qui se déroule tout au long du film : comment survivre quand plus aucune nourriture ne rentre dans ce qui est devenu un camp d’internement ? Le réalisateur est partout, devant la caméra dès les premiers instants, rejetant son statut de travailleur pour les Nations Unies qui ont abandonné son peuple depuis la révolution syrienne qui a provoqué ce siège. Si Abdallah Al-Khatib est un personnage de son film, il en est aussi le créateur en tous points, recueillant les témoignages de toutes les générations de palestiniens, avec une emphase particulière pour les plus âgés et les plus jeunes. Lui, qui est diplômé de l’université de Damas en sociologie, regarde plus intensément ces deux strates de la population qui sont aussi les plus fragiles.

S’il est le véritable chef d’orchestre de son film, un autre personnage est premier devant la caméra, celui de sa mère, Oum Mahmoud, devenue médecin pour tenter de sauver ceux qui pouvaient l’être. Les pérégrinations de cette femme au sein des maisons délabrées font prendre conscience de l’extrême dénuement de ce peuple qui a recours aux subterfuges de survie les plus rudimentaires pour tenter de tenir encore un peu. Ces scènes de distributions d’eau chaude épicées, parfois dans des sacs plastiques, échappent au voyeurisme et à l’indécence car elles sont filmées par un des membres de cette communauté, ce qui les rend encore plus fortes et plus belles à la fois. Quand l’auteur filme une scène, il est souvent pris à parti, et l’amour qu’il reçoit par un mot, un surnom, et beaucoup de sourires, fait presque oublier l’horreur de ce qu’on l’on voit à l’écran.

Une question surnage de cette avalanche d’images terribles : comment a-t-il pu filmer tout cela ? Comment peut-on ne serait ce qu’avoir du matériel, de l’énergie pour faire fonctionner cette caméra qui permet de rendre compte de la situation du siège de Yarmouk ? C’est dans ces instants si particuliers, à la manière de Wang Bing qui filme l’exode d’un peuple en détresse dans Ta’ang, qu’explose toute la puissance et la singularité de la matière documentaire. Ce qu’arrive à capter l’auteur dans ses témoignages et dans ces scènes de rue, il n’y a que cette forme cinématographique qui en est capable : restituer le vivant dans toutes ses aspérités. On ne se morfond pas devant la caméra d’Abdallah Al-Khatib ; on rit, on chante, et on va jusqu’à oser énoncer ses rêves. Interrogés, des enfants livrent la première chose qui leur passe par l’esprit sur ce qu’ils rêveraient d’avoir. Pour beaucoup, c’est de la nourriture ou un proche disparu pendant le siège, souvent mort de faim.

Tasnim dans Little Palestine
On en revient encore à cette quête inlassable de la nourriture, qui révèle une des plus belles scènes du film autour de la petite Tasnim. Au milieu d’un terrain vague, on la trouve seule avec un couteau à la main. Elle est missionnée avec ses sœurs pour trouver des herbes à consommer. Agée de neuf ou dix ans, elle a le regard aiguisé et expert de ces enfants qui ont déjà une expérience bien trop douloureuse de la vie. Son échange avec le réalisateur est interrompu par des détonations, tous deux ont soudain peur. Un obus s’est logé dans l’immeuble en face d’eux, sans même qu’ils s’en rendent compte. Ce moment tout simple relate bien la complexité de ce qu’essaye de décrire le jeune réalisateur palestinien. Le sujet, en un instant, lui échappe et ce petit espace herbacé rappelle qu’il est un élément d’une zone de guerre qui ne laisse aucun répit.

Entre la perspective donnée par les plus anciens et l’innocence des plus jeunes, on se retrouve pris à la gorge par une histoire redoutable qui rappelle la condition d’un peuple que le gouvernement syrien a tout simplement décidé d’exterminer. Pris entre deux feux, celui de Bachar El-Hassad et l’Etat Islamique, la communauté palestinienne de Yarmouk devient un problème à éliminer pour ces deux factions rivales. L’étonnement et la surprise sont de chaque plan dans Little Palestine, on y voit des marchands vendre des cactus, des adultes se réunirent pour chanter et passer le temps, et une soupe publique organisée avec les moyens du bord pour parer au plus pressé. Ce brillant premier film est plus que le journal d’un siège, il est le rappel du mépris constant pour un peuple qui rêve juste de vivre dignement.

Bande-annonce

12 janvier 2022 – D’Abdallah Al-Khatib, avec Out Mahmoud et la population du quartier de Yarmouk.




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