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L’INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES

Miles Bennell, médecin de la petite ville de Santa Mira, près de Los Angeles, s’aperçoit peu à peu que les habitants de cette petite ville tranquille se transforment en êtres dénués de toute émotion. Il découvre alors que des extraterrestres s’emparent, pendant la nuit, du corps de ses concitoyens.

ANALYSE DES QUATRE FILMS

Un des traits des films de studio hollywoodiens est cet engouement pour ce qu’il est convenu d’appeler les remakes. D’une histoire, adaptée ou pas, plusieurs films naîtront, plus ou moins distants dans le temps, organisant les mêmes éléments dans un ordre différent, pour aboutir sur un résultat parfois étonnant. On peut citer A Star is Born, adapté au moins cinq fois sur grand écran, mais également Les filles du Docteur March ou encore The Thing. Tous ces films ont connus plusieurs traitements, et ont profité de plusieurs regards sur une même problématique.

Un des romans les plus féconds est L’Invasion des Profanateurs de Sépultures de Jack Finney, publié en 1955. Le synopsis est simple : les habitants d’une ville se font petit à petit remplacer par des doubles, qui grandissent dans des cosses, pendant le sommeil de leurs hôtes. Dès la publication du roman, une adaptation est confiée à Don Siegel, qui sortira l’année suivante avec Kevin McCarthy en tête d’affiche. S’il est connu dans le métier, notamment pour avoir gagné un Oscar pour son premier court-métrage, Siegel est alors ce qu’on appelle un « B movie director ». Il ne s’occupe que de films de second rang, où la créativité prime sur le budget.

L’Invasion des Profanateurs de Sépultures est centré sur une petite ville de Californie, à échelle humaine, et ce choix définit toute la dynamique du récit. Ce point précis est une des clefs de voûte de toutes les adaptations du roman de Finney : Siegel choisit de placer ses personnages dans un environnement familial, où tout le monde se connaît et se fréquente. Cela a pour effet de renforcer l’aspect de claustration de l’histoire, la petite ville prend des aspects de bocal dont on ne peut s’échapper, ce qui exacerbe la tension dramatique. Quand Philip Kaufman accepte de faire un remake du film de son ami, en 1978, c’est dans l’idée de changer d’échelle complètement, et d’exporter le concept vers sa ville de San Francisco. Si l’on est toujours en Californie, les enjeux divergent : l’infection, car c’est bien de cela dont il est question, gagne une population beaucoup plus vaste, et l’endiguement est d’autant plus difficile. La même scène, l’organisation de la nouvelle population qui doit « exporter » les cosses vers de nouvelles villes, rassemble une large population au potentiel destructeur cataclysmique impossible à contrôler. La propagation de « l’invasion » suit la courbe du peuplement de San Francisco.

Abel Ferrara décide quant à lui de choisir une unité de vie encore différente, celle de la caserne militaire. L’angle de l’armée est un classique du film d’horreur et d’épouvante, comme on a pu le voir notamment chez George Romero et ses films de morts vivants. Ferrara pointe le système de défense d’un pays, gangrené de l’intérieur, et par conséquent incapable de se défendre, les premiers touchés étant les forces de l’ordre. Olivier Hirschbiegel, pour la dernière adaptation officielle, en 2004, choisi le cadre tout symbolique du pouvoir politique. L’action se situe pour la première fois sur la côte Est des États-Unis, où le premier infecté n’est autre qu’un des proches du pouvoir exécutif de l’État fédéral américain.
Leonard Nimoy, Donald Sutherland et Jeff Goldblum

Terreur politique

Mis à part le film d’Abel Ferrara, on retrouve les mêmes noms de personnages, et aussi la même fonction pour ceux-ci. Le personnage principal est un médecin, généraliste chez Siegel, psychiatre chez Hirschbiegel, et c’est le registre du virus et de la médecine qui commande l’action. Au delà de ce registre médical est souligné un sentiment très fort de paranoïa, celui-ci propre à la décennie et au moment où se déroule les films. Chacun est une illustration forte de son époque. Le premier est teinté du maccarthysme des années 1950, où la dénonciation et la peur du communisme pénètre chaque petite ville qui voit un envahisseur en cet ennemi invisible qu’est le « rouge ». Le film de Kaufman est situé à la fin des années 1970, entre les deux grands chocs pétroliers, marquant la fin des Trente glorieuses et le début d’une crise économique qui ne semble jamais devoir se finir. Les grands mégalopoles, symboles du faste libéral, sont également touchées, et la peur de l’autre s’installe durablement jusqu’à la crise des années 1980 qui sera terrible pour les grandes villes étasuniennes. Ces films sont donc très politiques dans leur traitement, la dénonciation de la folie militariste des années 1990 chez Ferrara étant à peine désamorcée par un final peut être trop optimiste. C’est un trait commun à chacun de ces adaptations : les studios américains n’ont pas laissés les créateurs aller jusqu’au bout de leur démarche. Le film de Philip Kaufman apparaît dès lors comme le seul qui arrive à boucler son objectif.

En effet, seule la version de 1978 se conclut sur une note d’une grande noirceur. Ce n’est pas un hasard si le plan final du film demeure le plus célèbre. Cette intégrité artistique en fait l’une des plus grandes réussites : comment comprendre qu’une telle histoire puisse déboucher sur un fin heureuse, comme si toute la paranoïa développée pendant une heure et demi pouvait s’évanouir en quelques secondes, emportée par un volontarisme roi et impérialiste miraculeusement apparu ? La noirceur contenue dans le cœur de l’histoire appelle une fin beaucoup plus sombre que celle imposée à Don Siegel en 1956. Son apparition en chauffeur de taxi dans la version de 1978 (ainsi que celle de Kevin McCarthy qui semble tout droit sorti de sa version du film), sonne comme un moyen de réparer une injustice commandée par la production de l’époque.
Body snatchers d'Abel Ferrara

Si l’on ne s’aventurera pas sur l’aspect xénophobe de cette histoire et sa peur viscérale de l’étranger, il est par ailleurs intéressant de relever l’exacerbation des valeurs libérales chevillées au corps du peuple étasunien. En effet, le concept de L’Invasion des Profanateurs de Sépulture est avant tout un combat pour la liberté individuelle contre le contrôle absolu d’une volonté collective. En cela on retrouve bien l’idéologie de la Guerre froide et de la lutte contre le bloc soviétique. Cette idée que le collectif nie toute individualité va jusqu’à l’opposer à la possibilité de l’amour, des émotions, qui serait les causes de toutes les guerres, et de toutes les souffrances de la race humaine. Le personnage du docteur Bennell, qu’il apparaisse sous les traits de McCarthy, Donald Sutherland ou Nicole Kidman, est dès lors le champion de la liberté individuelle. Il, ou elle, est celui qui découvre l’amour, se bat pour ce sentiment, jusque dans un lyrisme presque désuet. Comment abandonner ce combat puisqu’il signifie se battre pour le grand amour ?
Body Snatchers de Don Siegel
Enfin, l’idée qui peut-être, a permis le grand succès de cette série, reprise dans chaque film, est l’impossibilité pour le héros de dormir. Il ou elle doit s’abstenir de s’endormir, sinon il est remplacé et par conséquent meurt. Ce fil rouge est d’une grande efficacité, et donne lieu à beaucoup de possibilités visuelles pour matérialiser le risque de mort des personnages. La peur qui s’infiltre à l’intérieur même de cette idée, de ce besoin physiologique qu’est le sommeil est le coup de maître de l’histoire de Jack Finney.

S’il n’est pas une adaptation officielle du livre, le Little Joe de Jessica Hausner (2019), reprend tous les aspects de L’invasion des Profanateurs de Sépultures. Notamment l’idée que c’est de la plante que vient la transformation et le remplacement de l’être humain par quelque chose d’autre. La différence majeure est sans doute que cette variété de fleur qui transforme les êtres humains en une version apathique d’eux-mêmes, ne vient pas d’ailleurs. Elle n’est pas une intelligence collective qui viendrait d’un espace menaçant, mais de l’intérieur de l’humanité, créatrice de sa propre extinction. On peut dès lors se demander si la paranoïa de la disparition et de la mort ne s’est pas déplacée de l’étranger vers l’être humain, devenu son propre démiurge et destructeur, sans qu’il n’ait besoin de quiconque pour s’auto-détruire.


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