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LIMBO

Le détective, Travis Hurley, arrive dans une petite ville de l’arrière-pays australien pour enquêter sur l’homicide non résolu d’une femme aborigène, vieux de vingt ans.

Critique du film

Aucun des films du réalisateur australien Ivan Sen n’a encore eu l’opportunité de sortir sur les écrans français. Tout juste certains d’entre eux, comme Goldstone (2016), ont pu être vus sur notre territoire par le biais de la vidéo physique ou de plateformes en ligne. Il a la particularité d’être, par sa mère aborigène, d’une des nations de la province du South Wales. Son nouveau film, Limbo, est entièrement tourné dans une photographie noir et blanc, ce qui a pour premier effet de renforcer la grande luminosité des paysages de l’arrière-pays australien, et ce désert qui bordait déjà l’action de Survival of Kindness de Rolf de Heer, lui aussi en compétition à la Berlinale 2023.

On y retrouve Simon Baker, débarrassé de ses mèches blondes, les bras couverts de tatouages et muni d’une lourde paire de lunettes cerclées de fer. Agent de police en mission, il doit enquêter sur une disparition vieille de vingt ans, affaire classée sans suite à l’époque. Son hôtel, qui porte le nom de la ville, Limbo, est déjà en soi un objet insolite. Creusé dans une grotte, il accentue l’aspect irréel du récit, métaphore supplémentaire au champ sémantique religieux qui hante le film.

Limbo est avant toute chose un film qui joue sur son atmosphère très particulière. Plus qu’un film policier ou d’enquête, il crée un état vaporeux où tout se passe à un rythme lent et comme figé dans le temps. Travis, le personnage joué par Baker, semble en service minimum, prenant le soin de souligner qu’il n’a qu’une hâte : quitter cet endroit désolé pour continuer sa route. S’il pose des questions et déroule sa mission dans un ordre méthodique, il ne ressemble pas beaucoup à un policier, ce que lui fait remarquer une enfant de cette petite localité du bout du monde. Accro à l’héroïne, qu’il s’injecte dans une des premières scènes du film, Travis est un flic qui a tout du truand, déambulant tel un fantôme dans cet espace qui porte terriblement bien son nom tant il ne semble pas appartenir au contemporain et au domaine des vivants.

Limbo Simon Baker

Ivan Sen met en place une direction artistique qui montre la communauté aborigène comme glacée à tout jamais, l’inintérêt de la société l’ayant privé de sa vitalité et de sa sève. C’est aussi pour cela que l’issue de cette histoire ne présente pas un enjeu véritable. Dès les premiers instants, les responsables de la disparition de Charlotte sont désignés, les témoins parlent très vite après s’être renfrognés, et la succession de scènes plus sublimes les unes que les autres sont surtout là pour attester du sacrifice de ce groupe de personnes. À noter qu’on retrouve l’acteur Nicholas Hope dans le rôle de Joseph, lui qui est l’un des visages les plus connus du cinéma australien, notamment pour son rôle dans le Bad Boy Bubby (1993), là encore de l’incontournable Rolf de Heer. De là à penser que ces deux grands acteurs australiens, Hope et Baker, se font face pour constater le sort de toute une communauté, il n’y a qu’un pas facile à franchir.

Avec Limbo, Ivan Sen met en scène un film très séduisant qui conquiert par sa langueur et la qualité de sa photographie, auscultant les souffrances et les cicatrices de tout un peuple au travers de sa culpabilité, notamment dans la gestion de l’éducation des plus jeunes. L’auteur regarde les enfants d’Emma, jouée par une très bonne Natasha Wanganeen, comme le véritable enjeu de cette histoire, infiniment plus que les drames du passé. Travis quitte la ville pour retourner vers d’autres enquêtes et homicides non résolus, tout en ayant réussi à réunir des personnages qui auront touché son cœur mais aussi son âme.

D’Ivan Sen,

avec Simon Baker, Rob Collins et Natasha Wanganeen.


Présenté en compétition à la Berlinale 2023




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