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LES RENDEZ-VOUS DU SAMEDI

« Je m’appelle Pierre Bolex, j’ai bientôt 41 ans. A l’école, lorsque nous étions petits, pour fêter le bicentenaire de la Révolution, on nous avait déguisé en révolutionnaires. Aujourd’hui nous sommes à l’âge adulte… » Entre documentaire et fiction, deux ans de Gilets Jaunes vus à travers le regard d’un homme du même âge qu’Emmanuel Macron.

Critique du film

En 52 minutes Antonin Peretjatko atomise le quinquennat qui s’achève. Il livre un réquisitoire en forme de brûlot épousant la désinvolture subversive de Jean-Luc Godard, la rigueur de Frédéric Rossif et la poésie décalée de Chris Marker. Réjouissant !

Une seule phrase suffit à affirmer le caractère subjectif du récit qui vient : « Je m’appelle Pierre Bolex, j’ai bientôt 41 ans. ». On notera que le patronyme évoque un modèle de caméra 16mm, manière d’annoncer un va-et-vient entre trame fictive et images documentaires, contemporanéité et histoire. Pierre Bolex, c’est le Sandor Krasna de Peretjatko, le cameraman de Sans soleil à qui rien n’échappe. Tous deux sont les enfants des opérateurs Lumière, témoins de leur temps. Cette voix semble sortie d’un poste radiophonique, tout comme celle du narrateur du Gai savoir que Jean-Luc Godard réalisa dans sa période Mao. De Godard, on retrouvera le goût des couleurs primaires qui illuminent les séquences privées et celui des phrases choc (« Mourir à Madrid, pourrir à Paris ») et des citations (« la révolution, c’est le soleil dans le brouillard »).

Les rendez-vous du samedi

La référence à Frédéric Rossif n’est pas anodine. Si Peretjatko s’éloigne volontairement du ton neutre qui présidait au récit de Mourir à Madrid, il en reprend l’énumération chronologique et circonstanciée des faits. Ainsi défilent, images diploïques symbolisées par un prisme de jumelles, les rendez-vous du samedi, l’escalade de la colère des gilets jaunes face à l’indifférence du pouvoir, aux mensonges et à la répression. Le grand débat et ses cahiers de doléances comme des bouteilles à l’amer, la loi anticasseur, le ministre de l’intérieur en boîte de nuit et le Président aux sports d’hiver, le projet de loi sur la réforme des retraites et la loi de sécurité globale, autant de jalons où se télescopent le symbolique et le judiciaire, le « ruissellement du déni » et « la criminalisation des manifestants ».

La narration redonne à cette séquence politique une fraîcheur inattendue et salutaire, l’historicisant dans un continuum liberticide où domine la stratégie du pire entretenue par les forces de l’ordre (appelés jadis gardiens de la paix).

Au cours tumultueux de l’Histoire, illustré par les images documentaires, répondent les histoires courtes, aventures sentimentales vécues par le narrateur. « Révolté ou amoureux, je poursuivais un fantôme qui, perpétuellement m’échappait ». Des saynètes fictionnelles où Domino, Sophie, Valentina, Héloïse se succèdent, beautés sans paroles, chimères d’une insouciance perdue, sourires mutins projetés sur la Tour Eiffel dans Paris inoccupée. Une image féminine volontairement fétichisée, manière d’accentuer le décalage avec le contemporain et de prendre la tangente en direction des années 60/70, voire beaucoup plus loin dans le temps, avec un certain art de la pantomime remis au goût du jour. Une fétichisation plus cinématographique que sexuelle.

« La guerre, c’est simple : c’est faire entrer un morceau de fer dans un morceau de chair ». Cette citation de Mourir à Madrid ravive de tristes souvenirs de mains arrachées et d’yeux crevés, insupportables plaies que ce film, à sa manière, cautérise. Contre un Etat gazeux, pour un cinéma solide.

Bande-annonce

1er avril 2022 – D’Antonin Peretjatko




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