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LES MYSTÈRES DE BARCELONE

Barcelone, au début du XXe siècle, voit cohabiter deux villes. L’une, bourgeoise et moderniste ; l’autre, crasseuse et sordide. La disparition de la petite Teresa Guitart, fille d’une famille riche, envoie une onde de choc dans tout le pays. La police a bientôt une suspecte : Enriqueta Martí. De son côté, le journaliste Sebastià Comas va mener une véritable enquête et découvrir la sombre vérité…

Critique du film

Avec un titre français qui évoque sans détour le célèbre roman fleuve d’Eugène Sue, Les Mystères de Barcelone peut donner de prime abord l’impression d’un récit historique où la cité ibérique serait traitée comme un personnage à part entière, qui, à l’instar de la ville Lumière, agirait comme un catalyseur sur les émotions et actions de ses personnages. Et c’est en partie ce qu’opère le film de Lluis Danès. Tiré d’une sinistre histoire vraie survenue en 1912, le long-métrage va progressivement jouer de son écriture et de toutes les techniques qu’offre le cinéma pour personnifier l’emprise quasi maléfique d’une ville sur les âmes de ceux qui la composent. 

Sin City

A l’aube du XXème siècle, Barcelone connaît une prospérité économique et culturelle qui la hisse comme métropole de premier plan. La révolution industrielle entamée un demi-siècle plus tôt a entrainé l’essor du secteur textile et la ville bénéficie d’une aura moderniste largement représentée par l’architecture avant-gardiste d’Antoni Gaudí. Mais à l’image de Londres, son aînée victorienne, la montée en puissance d’une classe bourgeoise s’est effectuée au détriment des classes populaires, reléguées à la misère la plus totale. C’est dans ce contexte ambivalent et propice aux fantasmes les plus fous que démarre le récit. Des rumeurs de plus en plus persistantes se propagent dans les rues de Barcelone concernant la disparition d’enfants à laquelle la police ne semble pas s’intéresser. Jusqu’à ce que l’affaire prenne de l’ampleur lorsque la fille d’une famille aisée se fait kidnapper. Un journaliste, Sebastià Comas, lui-même affecté par un drame familial auquel les enlèvements d’enfants semblent faire écho, décide de mener l’enquête…

En adoptant le point de vue fictionnel de son héros journaliste, Lluis Danès peut habilement rejouer, tordre et, in fine, questionner les véritables événements qui ont jalonné le fait-divers originel. Il explore ainsi les différentes strates qui composent la société barcelonaise de l’époque ; des plus hautes sphères du pouvoir vers les bas-fonds prolétaires d’une ville gangrénée par la corruption des premières et le profond dénuement des seconds. Dès lors, le film se fait étude des rapports de classe pernicieux qui se jouent au sein d’une société où le déséquilibre social pousse les individus dans leurs retranchements moraux les plus extrêmes. La forme de film d’investigation permet par ailleurs au réalisateur d’aborder la question du sensationnalisme médiatique et de ses conséquences sur l’opinion publique, et notamment la stigmatisation des femmes prostituées. Des thématiques universelles que le spectateur pourra sans peine connecter au monde de 2022.

Les mystères de Barcelone

En rouge et noir

C’est principalement du point de vue stylistique que se démarque du tout-venant le film de Lluis Danès : de son sublime noir & blanc à l’intégration ponctuelle de la couleur (rouge sang) – qui annonce systématiquement à son héros les macabres découvertes à venir – , le réalisateur et son chef opérateur Josep María Civit multiplient les audaces visuelles pour donner vie à une Barcelone dénuée de toute velléité réaliste (jeux sur les éclairages et perspectives, animation intégrée au décor, etc.). Le film navigue ainsi sans cesse entre un expressionisme tout droit hérité de Fritz Lang et une approche graphique résolument gothique, proche des travaux d’Eddie Campbell sur des œuvres comme From Hell. Hautement stimulant pour le cinéphile, ces partis pris esthétiques ultra référencés servent avant tout le récit et traduisent parfaitement la descente aux enfers de son héros morphinomane, aspiré malgré lui dans un labyrinthe cauchemardesque dont la nature se dévoile petit à petit : un théâtre de marionnettes dont lui-même se révèle être l’un des pantins.

Jouant sur le folklore et tous les fantasmes que peuvent revêtir une affaire comme celle de ‘’la Vampire de Barcelone‘’(titre original), Lluis Danès s’empare d’une légende urbaine pour mieux décortiquer la complexité d’une époque et les ressorts d’une société aux desseins pas toujours reluisants. Et par ses atours de conte gothique aux accents baroques, nous rappeler qu’un mensonge savamment construit est parfois plus simple à ingérer qu’une vérité plus amère.

Bande-annonce

28 septembre 2022De Lluis Danès, avec Nora NavasRoger CasamajorBruna Cusí




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