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LES MISÉRABLES

Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, dans le 93. Il va faire la rencontre de ses nouveaux coéquipiers, Chris et Gwada, deux « Bacqueux » d’expérience. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier. Alors qu’ils se trouvent débordés lors d’une interpellation, un drone filme leurs moindres faits et gestes…

La critique du film

Le nom du réalisateur des Misérables n’était pas parmi les plus ronflants au moment de l’annonce de la sélection officielle de cette édition du festival de Cannes. Même au sein de la délégation française, ce n’était pas le plus attendu. Bien qu’il ait fait partie du collectif Kourtrajmé depuis sa fondation, Ladj Ly semblait plutôt l’invité surprise du grand événement cannois. Prolongeant un geste déjà entamé par un court-métrage du même nom, ce premier film long est une énorme surprise.

Tout d’abord, nous allons éviter les rapprochements imprécis et trop faciles avec des films célèbres racontant la banlieue française, on pense bien sur à La haine de Mathieu Kassovitz, ou Ma 6T va cracker de Jean-François Richet, car ce serait réduire Les misérables mais aussi ce serait se tromper sur sa nature profonde. C’est un film qui est avant tout éminemment politique. Là où un Jacques Audiard n’avait utilisé la banlieue française que comme un décor sous vide pour son Dheepan de funeste mémoire (palme d’or, rappelons le), Ladj Ly incarne sa vision dans un torrent d’humanité et recentre ces quartiers dits sensibles au centre de l’arène.

Il commence très intelligemment son film par la victoire de la France à la dernière coupe du monde de football masculine à l’été 2018. Ce moment, qu’il illustre parfaitement, est fédérateur pour toutes les composantes de la société française : tous chantent la marseillaise, revêtissent les couleurs du drapeau français. Mais dans la ville de Montfermeil en Seine-Saint-Denis, la réalité du terrain ne disparaît pas aussi facilement.

Gavroche des temps modernes

Ladj Ly nous rappelle que Victor Hugo a écrit ses Misérables dans la ville de Montfermeil et la filiation que crée le réalisateur avec ce texte fondateur et symbole de la culture française s’avère particulièrement virtuose. Son Gavroche s’appelle Issa, il est noir et musulman, et fait beaucoup de bêtises. Au début de l’histoire, il est au commissariat du quartier, devant son père fou de colère devant la nouvelle bêtise de son fils qu’il dit ne plus réussir à maîtriser. Face à lui la brigade anti-criminalité, la fameuse BAC, où débarque Stéphane venu en île de France pour se rapprocher de son fils dont il est séparé depuis son divorce. Le nouveau brigadier, porteur du regard étranger si cher à Montesquieu, est aussi un Candide de substitution. Il découvre son nouvel environnement et surtout ses deux collègues, Chris et Gouana, qui se vantent de se faire respecter des gens du quartier en semant la terreur.

Contenue sur une journée, l’histoire nous fait suivre ces trois hommes, qui nous présentent une galerie de personnages stupéfiantes, plus incarnés les uns que les autres, révélant une armée de « caciques » et autres petits roitelets locaux, tirant chacun sa petite influence et jouant son propre jeu. L’auteur nous fait vivre formellement de grands moments de cinéma, jouant du huis clos comme de la course poursuite dans les espaces de la cité avec un grand talent, presque du jamais-vu dans le cinéma français. Les images que nous montre Ladj Ly, et notamment la séquence finale d’une beauté à couper le souffle, resteront assurément très longtemps dans les esprits, ayant bien du mal à se dissiper. Salah, l’un des chefs d’orchestre des lieux, prononce une phrase qui symbolise bien l’enjeu du film : « j’ai envie de te faire confiance, mais leur voix et leur colère ne pourront de toute façon que s’exprimer ».

Premier choc de ce 72ème festival de Cannes, Les misérables est un coup magistral, un exposé qui s’il est sublime sur la forme, impressionne encore plus sur le fond. Ladj Ly dresse un état des lieux d’une grande intelligence, celui d’une population qui cultive une colère sourde qui, de toute manière, va devoir s’exprimer, par tous les moyens à sa disposition.



La bande-annonce

20 novembre 2019 // En compétition au Festival de Cannes 2019

 




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