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LES ENFANTS LOUPS, AME & YUKI

Hana et ses deux enfants, Ame et Yuki, vivent discrètement dans un coin tranquille de la ville. Leur vie est simple et joyeuse, mais ils cachent un secret : leur père est un homme-loup. Quand celui-ci disparaît brutalement, Hana décide de quitter la ville pour élever ses enfants à l’abri des regards. Ils emménagent dans un village proche d’une forêt luxuriante….

Des hommes et des loups

Comme le titre du film l’indique, Ame et Yuki sont des enfants mi-humains, comme leur mère, mi-loups, comme leur père, renversé par une voiture. Une pareille configuration brouille la frontière classique entre homme et animal, sans aller jusqu’à en faire totalement table rase. D’une part, le passage d’un état à l’autre se place sous le sceau du secret familial. Hana, la mère, a fait le choix, après la mort de son compagnon, de vivre dans une ferme isolée, à l’écart de la grande ville, pour laisser à ses enfants l’espace nécessaire à leur double apprentissage d’humains et de louveteaux. D’autre part, les enfants eux-mêmes supportent mal cette hybridité, qu’ils considèrent davantage comme une dualité conflictuelle plutôt que mélange vertueux. Très vite, Yuki, l’aînée, exprime son désir de vivre en tant qu’humaine exclusivement, tandis qu’Ame, le cadet, penche plus vers l’existence solitaire du loup.

Néanmoins, la mise en scène prend ses distances envers le comportement des personnages. Avec pudeur, elle observe les protagonistes hésiter entre leurs multiples existences sans les juger. Animalité et humanité sont deux voies possibles, placées sur un pied d’égalité. Et les enfants se situent à la croisée des chemins. Mamoru Hosoda ne hiérarchise pas l’une et l’autre : il constate simplement comment une succession de choix, conscients et inconscients, oriente les destinées de chacun.

Ici se joue la seconde notion de l’œuvre de Hosoda : la formation de soi. Êtres plastiques et malléables, Ame et Yuki modèlent leur corps et leur esprit au gré de leurs sensations. En ce sens, être-loup et être-humain sont deux manières complémentaires d’éprouver le monde en sa chair. « Tout sentir de toutes les manières ! », clamait Fernando Pessoa. Indirectement, Hosoda reprend le mot d’ordre du poète portugais. Rien que les deux « manières » des enfants-loups multiplient déjà considérablement les sensations qui fourmillent dans la campagne nippone.

Aux découvertes en solitaire des enfants, il faut ajouter le rôle fondamental de leur éducatrice : Hana, leur mère. C’est elle qui définit le cadre modulable dans lequel évoluent ses enfants. C’est elle qui, éponge à sentiments, absorbe douleurs, remords et regrets. C’est elle qui, malgré son absence dans le titre, en est peut-être la principale héroïne. Se plaçant résolument du côté de la formatrice débordée par ses élèves/enfants, Hosoda décentre la perspective traditionnelle du récit d’apprentissage, focalisé sur l’enseignement du disciple, au détriment du maître. Les Enfants Loups, Ame & Yuki raconte un apprentissage à double sens, voie dans laquelle Le Garçon et la Bête (2015) s’aventurera encore plus loin.

L’hybridité ne se cantonne pas au physique des enfants des rôles-titres. Chez Hosoda, de ce point de vue bon élève de Miyazaki, l’ambivalence est un principe qui gagne toute chose. La chair du monde a son endroit et son envers. Ce principe affecte jusqu’au genre du film. Compte tenu du scénario, la partie fantastique s’y fait très sentir. Elle n’efface pas pour autant l’ambition réaliste de documenter la vie à la campagne des néo-ruraux. Avec finesse et humilité, Hosoda tient le délicat équilibre entre quotidien et merveilleux, maîtresse et élèves, être et devenir.   


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