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LE SOURIRE DE MONA LISA

En 1953, Katherine Watson, fraîchement diplômée de l’université de UCLA, intègre la prestigieuse école pour filles de Wellesley pour enseigner l’histoire de l’art. Féministe et bohème, déterminée à affronter les moeurs dépassés de la société et de l’institution, elle va insuffler à ses étudiantes l’envie de se dépasser et d’avoir le courage de mener l’existence qu’elles souhaitent réellement vivre.

Critique du film

Pour reprendre les termes de Marcel Jouhandeau, “le sourire est notre dernière politesse, l’ultime parure de nos visages.” De tous ceux qui auront traversé les âges par le biais de leur immortalisation sur toile, nul autre que celui de la Joconde n’aura autant fasciné que soulevé questionnements et débats. Les moins curieux auront tôt fait de conclure à un simple contentement, sans chercher à savoir s’il s’agit d’une posture ou d’une omniscience qui dérangerait. Car ce regard de Mona Lisa, direct et audacieux – un regard alors réservé aux effigies masculines – n’a rien d’innocent. “Elle sourit. Parce qu’elle est heureuse ? Elle semble heureuse alors, quelle importance ?”

Drame historique majoritairement fictif, Le Sourire de Mona Lisa aura émergé de la réflexion conjuguée de Lawrence Konner et Mark Rosenthal alors qu’ils venaient de lire un article sur les années d’études d’Hillary Clinton à l’université féminine de Wellesley. Institution prestigieuse, réputée pour sa rigueur et son exigence académique, elle fut le théâtre d’un contraste singulier ; alors que le matin, les étudiantes y apprenaient la littérature française et la physique, l’après-midi était consacrée à la meilleure manière de servir le thé au futur patron de leur époux… L’idée de traiter des apparences trompeuses, par le prisme d’une école de bonnes manières déguisée en université promouvant l’émancipation des femmes par leur accès à des connaissances pointues, acheva de donner son titre au film. Trop souvent affublé d’une comparaison aussi simpliste que paresseuse de “Cercle des poètes disparus féminin, voire féministe”, le quinzième long-métrage de Mike Newell (Quatre mariages et un enterrement, Harry Potter et la Coupe de Feu) est de loin le plus intéressant de sa filmographie.

Fort de ses performances d’actrices, et d’une écriture témoignant de ce que les lignes de dialogues sont aussi importantes au cinéma que les mouvements de caméra, cette plongée dans les États-Unis des années 1950 est autant une réflexion sur l’enseignement que l’empouvoirement.

LE SOURIRE DE MONA LISA

IL N’Y A NI MAUVAISE RÉPONSE, NI MANUEL QUI PUISSE VOUS DIRE QUOI PENSER

Tourné au sein même des murs de Wellesley, à la beauté desquels la caméra de Newell rend toutes ses lettres de noblesse, Le Sourire de Mona Lisa dépeint d’abord la trajectoire d’une jeune enseignante à la vocation chevillée au corps, qui doit rapidement faire face à la dichotomie entre didactique et pédagogie. Le temps du film épouse celui d’une année académique et s’ouvre sur une extraordinaire cérémonie de rentrée dans la vieille chapelle du campus. L’érudition et la connaissance y remplacent tous les symboles religieux, renforçant l’idée d’un dévouement tout entier au désir d’apprendre. Petit à petit, les scènes de leçons marquent tant la progression de l’année que l’évolution d’une classe entière – et naturellement, de la relation des élèves avec leur professeure. L’idée de génie des scénaristes aura été de faire de Katherine Watson une professeure d’histoire de l’art, à une époque où les standards esthétiques et l’art contemporain étaient à un tournant historique. Ces scènes tiennent toutes une place prépondérante au sein du récit, de même que les oeuvres d’art qui y sont étudiées, toutes ayant un rôle de métaphores à mesure que le film progresse.

Jouant autant sur l’insécurité de Katherine face à son tout premier cours que sur la dépeinte d’un cours magistral au sens classique du terme, la première leçon montre les étudiantes dans leur élément, ayant appris par coeur le programme et les caractéristiques de plusieurs oeuvres d’art dont les peintures des grottes d’Altamira et de Lascaux. Par le simple enchaînement des diapotisives et des réponses des élèves fusant à droite et à gauche de l’amphithéâtre, la caméra transmet la tension et le désarroi de Katherine face à un auditoire rapidement désintéressé puisque se croyant omniscient quant au sujet proposé. La particularité de la scène réside dans le matraquage d’oeuvres soit préhistoriques ou antiques – des incontournables d’une première introduction à leur histoire et sans que les étudiantes ne les considèrent pour ce qu’elles sont mais pour ce qu’elles représentent au sein d’un corpus plus large d’une forme de culture générale. Pour reprendre la métaphore religieuse, leur foi inconditionnelle dans le programme du cours et leur capacité à le réciter sans le questionner prouve leur incapacité actuelle à réfléchir et à penser de manière indépendante.

La deuxième et la troisième leçons sont radicalement différentes, et marquent un tournant dans le film alors que Katherine décide de mettre au défi ses étudiantes en les confrontant à deux oeuvres modernes : Le Boeuf écorché de Chaïm Soutine et le Numéro 1 de Jackson Pollock. Les filles paniquent, d’autant que leur professeure leur pose des questions inconfortables comme « Est-ce beau ? » ou  » Qu’est-ce que l’art, qu’est-ce qui fait qu’une oeuvre d’art est bonne ou mauvaise et qui décide ? « , sans qu’elles ne puissent se reposer sur un manuel. La violence du Soutine et la nouveauté du Pollock (qui, dans le contexte du film, n’a que trois ans), combinées à la décision de montrer ces peintures en classe, est autant une provocation de Katherine, réagissant à l’humiliation qu’elle a subie lors de la première leçon, que la première pierre placée dans l’édifice plus personnel du personnage. Bien décidée à bousculer ses étudiantes, elle va chercher à leur faire prendre conscience qu’une éducation prestigieuse n’a aucun sens si elle n’est fondée que sur des connaissances mémorisées sur n’importe quel sujet, à contrario d’une analyse poussée construite sur une sélection pertinente.

À mesure que les étudiantes sont confrontées à la différence et à la nouveauté de l’art contemporain, elles réalisent que les possibilités sont infinies et qu’il est possible de ne pas se conformer à des standards, quels qu’ils soient, et plus particulièrement, ceux que la société envisage pour elles. Mais en les exhortant à regarder « par-delà la peinture », Katherine sera également amenée à accepter les choix qu’elle aura fait naitre chez ses élèves.

LES RÔLES POUR LESQUELS VOUS ÊTES NÉES

« Nous croyons au pouvoir et au potentiel de nos étudiantes et de tous les membres de notre communauté, d’appréhender un monde dans lequel elles veulent vivre et de faire en sorte qu’il devienne une réalité. » Cette devise de Wellesley pourrait résumer à elle seule le message central du film. Au travers d’une invitation à élargir le spectre de leur reconnaissance, le personnage interprété par Julia Roberts tend à élargir le champs des possibles pour ces jeunes étudiantes, à une époque où la société ne leur inculquait qu’une seule et unique voie. En effet, le film dépeint avec grande justesse une société américaine qui, au lendemain du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, aura cherché à exorciser ses blessures en trouvant du réconfort dans une vie domestique magnifiée.

Très vite, une opposition entre conservatisme et subversion scande le film, ayant pour avatar Katherine et son élève Betty, forçant les personnages en dehors de leur apparence lisse et sans contrastes. Tandis que Katherine transforme peu à peu sa salle de cours en tribune féministe, Betty use de sa position comme rédactrice-en-chef du journal de l’université ayant pour conséquence des licenciements et des mesures de censure. Le point culminant de cette confrontation se joue une nouvelle fois lors d’une scène de leçon, dans laquelle Katherine tout juste visée par un éditorial sanglant de Betty, use de diapositives montrant des publicités promouvant le parfait rôle de la femme au foyer, interrogeant rhétoriquement ses élèves sur ce qu’analyseront de futurs académiciens d’une époque cherchant à faire croire aux femmes qu’un corset est le meilleur moyen de les libérer.

LE SOURIRE DE MONA LISA

Outre la très belle performance de Julia Roberts (qui tient ici un de ses meilleurs rôles avec Erin Brockovich), Kirsten Dunst et Maggie Gyllenhall y crèvent particulièrement l’écran. Diamétralement opposées, la première incarne l’archétype même de la jeune fille privilégiée et formatée, là où la seconde joue le rôle d’une jeune femme libérée sexuellement sans que sa réputation sulfureuse ne lui dicte un quelconque changement. La confrontation entre les deux personnages dans une des plus belles scènes du film – et sans conteste dans la carrière de Kirsten Dunst – marque un nouveau point de bascule dans le film. De même, la trajectoire du personnage de Joan interprétée par Julia Stiles forcera Katherine et le spectateur à considérer que faire des choix ne réside pas toujours dans la subversion des idées préconçues, mais de s’approprier des conventions par le biais d’un consentement éclairé.

Si le film rayonne également par ses seconds rôles féminins – notamment Marcia Gay Harden, qui livre une performance aussi touchante que tragique dans le rôle d’une typique « vieille fille » attachée aux traditions – sa grande faiblesse réside dans ses rôles masculins, terriblement unidimensionnels et faisant d’avantage l’effet de faire valoir que de véritables partenaires. Une faiblesse d’autant plus dommageable à considérer que le message du film n’est pas de tomber dans une caricature de rôles genrés.

LE SOURIRE DE MONA LISA

Intelligent, et bien plus subtil qu’une simple réécriture féminine d’un autre grand succès cinéma du genre, Le Sourire de Mona Lisa ne dicte ni comment une femme devrait agir ou penser, mais exhorte au contraire à questionner l’action et la pensée féminine. Par le prisme de la valorisation de l’éducation, il met en lumière l’importance des choix des femmes dans leurs vies personnelles et professionnelle, et délivre un message puissant sur la réflexion continue comme moteur de l’existence de l’individu.


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