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LE SILENCE DES AGNEAUX

Clarice Starling, jeune stagiaire du FBI, est désignée pour enquêter sur une série de meurtres épouvantables commis dans le Middle West par un tueur de femmes psychopathe connu sous le nom de Buffalo Bill.

Critique du film

Laissez-moi m’installer un moment sur le divan, docteur. Rectification : laissez-moi m’asseoir un moment sur cette chaise en plastique, docteur, et en gardant une distance de sécurité. Quel est le problème, me demandez-vous ? Eh bien, tout a commencé pendant mon adolescence lorsque j’ai vu pour la première fois Le Silence des agneaux. Comprenez bien, j’étais jeune et soudainement fascinée par Hannibal Lecter, ou comme on le surnomme affectueusement « Hannibal le cannibale ».

La première rencontre se joue dans l’attente, sa réputation le précède, et arrive enfin le moment de la visite. Clarice, la jeune agent en formation du FBI choisie par Jack Crawford qui dirige l’institut des behavorial sciences, descend sous terre, Persephone des temps modernes, puis longe le mur du couloir. La musique, pesante, n’est interrompue que par les quelques mots que lui adressent les autres prisonniers de l’hôpital psychiatrique dans lequel se trouve Lecter. Toute cette tension culmine lorsque la caméra le révèle enfin qui l’attend, qui nous attend, debout, silencieux, puis : « Good morning ». Quel calme, quelle retenue, et cette invitation à s’approcher. Gros plans sur les deux visages qui se voient enfin, et voilà la moquerie qui arrive, accompagnée d’un clin d’œil, mais d’un ton joueur. Voyez-vous, docteur, Hannibal Lecter n’est pas un vulgaire criminel, comme les autres qui ont accosté et insulté Clarice. Il est psychiatre, ou l’était du moins. Il est cultivé, il aime la musique italienne, et l’art, et les bons vins, il est fin et intelligent, plein d’humour, charismatique et ? Cannibale, me dites-vous ? Ma foi, tout le monde a ses petits défauts. Je vois que vous prenez des notes, qu’ai-je donc dit ? Anthony Hopkins n’a pas le charme déroutant de Mads Mikkelsen qui élève chaque meurtre en tableau artistique, mais il est conjuré à l’esprit de n’importe qui si l’on parle Hannibal.

« What is its nature? What does he do, this man you seek? » « He kills women » « No! That is incidental. What is the first and principal thing he does, what need does he serve by killing? »

Si le film est une chasse à l’homme, le serial killer « Buffalo Bill » qui tue des jeunes femmes pour leur peau, il est surtout un jeu de chat et souris entre les deux protagonistes. Lecter peut bien mettre fin à leur première rencontre en lui rappelant ce qu’il est arrivé à la dernière personne qui a essayé de le questionner contre sa volonté (mangé avec des haricots), et refuser de lui répondre d’avantage, il lui offre une serviette pour se sécher lorsqu’elle revient après avoir découvert une tête d’homme dans un garage. N’y a-t-il pas là quelque chose d’attirant, docteur, à être courtisée par un homme aussi dangereux que Lecter ? Clarice l’intéresse après des années d’ennui, elle est peut-être fascinée par lui, et revient encore et encore, mais le chat a autant besoin de la souris que cette dernière de lui. Dans le noir, avec une succession de champ/contre-champ de plans rapprochés sur nos deux protagonistes, dans l’intimité de cette obscurité, il lui avoue avoir tué Miggs, son voisin de cellule qui s’était masturbé devant Clarice. Il a même été puni pour cela, reconnaît-il, et lorsque Clarice s’apprête à répondre, le gardien allume les lumières, les rappelant au monde réel, et nous tirant de cet échange. Parlait-il vraiment de Crawford avant en suggérant qu’il l’avait prise son aile, par intérêt sexuel ? Et même, dans ce cas, s’offre un choix classiquement manichéen mais combien moral et attirant : Va-t-elle succomber à la tentation du mal dans les bras du chaotique Dr. Lecter, ou se ranger avec son supérieur, dans l’ordre du bureau et la sûreté d’une carrière ? Bien sûr qu’elle va triompher, nous sommes au cinéma, la question n’est pas là. La question est de savoir comment elle va capturer Bill et comment elle va être transformée par son expérience. C’est ce à quoi rêve secrètement toute jeune femme, non ? D’être mangée toute crue, ou cuisinée, par des hommes plus âgés ? En fiction cinématique, bien sûr.

Le silence des agneaux

Donnez-moi encore quelques minutes, docteur. Vous voyez, après quelques années, j’ai regardé la série Hannibal, et je suis tombée sous le charme du plus célèbre cannibale une nouvelle fois. Peut-être ai-je un type, qui sait, vous êtes l’expert. Mais passons sur cet épisode, gardons-le pour une autre séance. Viens alors la seconde fois où j’ai (re)vu The Silence of the Lambs, en version originale cette fois, dans la salle de projection de ma fac. La discussion post-film s’est déroulée avec l’ancien chef profiler de l’académie du FBI, celui qui a fait des behavorial sciences une réalité. L’équipe du film a travaillé avec le bureau, pour rendre l’expérience réaliste, et elle l’est comme il l’a confirmé. Vous savez ce qui est, disons amusant, docteur ? La soirée était sponsorisée par le département de psychiatrie, vos collègues ont parlé, et posé des questions, sur les tueurs en série, les psychopathes, le profiling, la violence. Et la même question que pose Lecter à sa patiente, excusez-moi, sa protégée est venue : Pourquoi ? Pourquoi les tueurs, ma foi, tuent ? Pourquoi Bill kidnappe-t-il, torture-t-il, et tue-t-il ces femmes pour essayer de se faire « un costume de femme » ?

La réponse est évidente, bien sûr : parce que ce sont des hommes, et qu’ils peuvent. Comment ça mauvaise réponse ? Et voilà, comme Lecter, toute une liste de raisons, d’explications, de psychanalyses et autres possibilités qui sont énoncées par ces gens. Vous voyez, le charme fonctionne un moment. Des années après, une vie après si je peux me permettre en parlant d’expériences personnelles, Le Silence des agneaux est toujours aussi glaçant, effectif et fascinant mais je détiens à présent la clef du mystère. Hannibal Lecter est bel et bien un vulgaire criminel, un tueur en série, un cannibale attiré par la peur qui émane de la jeune Clarice, obligée de se dénuder, si ce n’est physiquement, mais psychologiquement en échange d’informations.

De même, la sénatrice, dont la fille risque d’être la dernière victime en date de Buffalo Bill, ne l’apitoie guère, il s’en moque, et en même temps, humilie Chilton, le psychiatre en charge de l’hôpital. Tout ce film est bien un jeu de chat et de souris, de rapports de force, mais impossible de le lire correctement si vous ne comprenez pas qu’il s’agit de relations de genre. Clarice n’est pas courtisée par Lecter, elle est menacée. Manipulée. De même qu’elle est forcée de jouer à la féminité en lui rendant visite. De même qu’on lui rappelle sans cesse qu’elle est une jeune femme, tous ces plans de semi-ensemble, pensez à celui de l’enterrement, nous la montre encerclée par des hommes. Petite et menue souris qu’est Jodie Foster dans ce monde brutal et sanguinolent. Brebis qui retourne dans son enclos pour se faire massacrer. Sauf que.

Manipulateur manipulé

Clarice dégaine son arme et tue Buffalo Bill, dans le noir, sauve Catherine, la victime qui vivra, et devient une agent du FBI à part entière, sans succomber à la tentation du mâle (on ne peut pas en dire autant pour ce cher Will, si je peux me permettre), et sans plus qu’une poignée de main avec Crawford. Elle participe peut-être à ce monde masculin, mais joue avec ses propres règles, quitte à les retourner contre lui (quelle colère froide, mais quelle fierté aussi, dans le voix d’Hannibal lorsqu’il comprend qu’elle l’a manipulé à son tour). Une déception tout de même, si vous me permettez docteur, à regarder une seconde fois ce film et la façon dont il traite Bill, déclaré par Lecter « un faux transsexuel ».

Cette violence des propos, et narrative, à faire du personnage queer le psychopathe tueur de jeunes femmes démontre bien le règne de l’ordre (hétérosexuel et normatif) dans lequel évolue Clarice, et dans lequel a été produit l’œuvre qui s’éloigne ici, bien volontairement, du souci de réalisme auquel elle prétend. Il plane néanmoins toujours à l’horizon, comme Lecter à la fin du film, qui l’appelle pour lui dire adieu, ou plutôt « viens me chercher » : quelle angoisse et quelle peur, d’être toujours observée et jugée à chacun de nos mouvements.

Docteur, vous savez quoi ? Je crois que les agneaux ont arrêté de crier, nous pouvons nous séparer.


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