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LE PROCES DE L’HERBORISTE

Jan Mikolášek est l’un des plus grands guérisseurs et herboristes de son époque. Dans la tourmente de la guerre et des crises du XXe siècle, il consacre sa vie à soigner sans distinction les patients qui affluent de toute l’Europe. Mais sa popularité en vient à irriter les pouvoirs politiques…

Critique du film

Honoré par le prix Silsey Le Lab – Femme de cinéma, qui met à l’honneur chaque année une réalisatrice emblématique du cinéma européen, Agnieszka Holland présente également son dernier film, un an à peine après L’Ombre de Staline. Dressant le parcours d’un homme dans l’Histoire, Le Procès de l’herboriste n’est en rien un film de tribunal, mais une fresque intime qui fouille les tréfonds d’une conscience tourmentée. Et surtout, une leçon de mise en scène.

Interdits et dissidence

Il y a un certain attachement, chez la réalisatrice polonaise, pour les destins individuels pris dans le vent de l’Histoire, en particulier ceux qui viennent en gripper les rouages ou en troubler l’ordre. On se souvient du Complot et de Christophe Lambert en père Jerzy Popiełuszko, figure de la lutte contre le régime communiste ou de Europa Europa, et son « héros », jeune juif dissimulé au cœur des jeunesses hitlériennes.

C’est malgré lui que Jan Mikolášek se retrouve en butte au parti. Herboriste distingué, l’homme guérit, en marge de la médecine traditionnelle, à tour de bras, grâce à un don découvert enfant puis développé auprès d’une guérisseuse : il diagnostique en observant les urines. Agnieszka Holland et son scénariste Marek Epstein orchestre un va et vient temporel foisonnant et maîtrisé dans lequel on n’est jamais perdu. De l’apprentissage au traumatisme de la guerre, des fondements de son institut à la passion amoureuse, le scénario déploie les jalons d’une vie d’interdits et de dissidence. C’est contre l’avis de ses parents qu’il forge son savoir, en marge de la médecine traditionnelle qu’il officie et clandestinement qu’il aime František, engagé comme assistant.

Mise en scène de la contrainte

Le procès de l'herboriste
Tout en assurant une reconstitution historique scrupuleuse, la cinéaste délivre une mise en scène en apparence classique mais qui regorge de motifs à la fois éclairants et dynamiques. Multipliant les surcadrages, elle transcrit l’enfermement moral et institutionnel de l’herboriste dont les modes d’expression se heurtent aux carcans. C’est le même principe qui anime la composition très géométrique de nombreux plans, dans lesquels, un escalier ou un couloir, figurent une partie visible d’un immense labyrinthe mental. Au cours d’un interrogatoire, les champs / contre champs trouvent aussi une singularité qui accentue l’idée d’affrontement biaisé. Enfin les barrières, les verrières et autres grilles qui séparent la caméra des personnages symbolisent, tout le long du film, les incessants obstacles qui se dressent sur la route de Mikolášek.

Le portrait du « charlatan », titre original du film et surnom par lequel la presse présente l’herboriste, que brosse Holland, n’ai absolument pas celui d’une oie blanche. Guidé par le besoin de guérir, c’est aussi un homme craint, volontiers colérique et en proie à d’irrépressibles accès de violence. Généreux avec ses patients, il peut être aussi très cruel. C’est ainsi qu’il met son amant devant un cas de conscience terrifiant lorsque ce dernier lui annonce sa future paternité. Une cruauté qui trouvera de bien mauvais échos dans le procès qui les voit fréquenter le même banc des accusés. Cette passion secrète prend des allures de vraie relation sado-masochiste dominée par une âme torturée.

Porté par l’interprétation impeccable de Ivan Trojan, tout en autorité et raideur, Le Procès de l’herboriste est une puissante réflexion sur les libertés, celles que l’on conquiert, celles que l’on paye cher, dont l’admirable mise en scène renouvelle constamment l’intérêt. Un grand film, tout simplement.

Bande-annonce

30 juin 2021 – D’Agnieszka Holland, avec Joachim Paul Assböck, Jan Vlasak et Ivan Trojan.


Présenté au festival des Arcs 2020.




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