still_Parrain3

LE PARRAIN 3

Atteignant la soixantaine, Michael Corleone désire à la fois renouer avec les siens et se réhabiliter aux yeux de la société, surtout de l’Église. Il arrivera presque à ses fins, mais sa vie passée et ses anciens ennemis le rattraperont.

Après l’échec de Coup de cœur (1981), Coppola est contraint de mettre de côté ses projets personnels et d’accepter des commandes. Il accepte de tourner le troisième Parrain pour des raisons financières et refuse de l’appeler Le Parrain III. Mais la Paramount a le dernier mot (avant de revenir sur sa décision en 2019 et laisser le réalisateur produire un director’s cut appelé The Godfather, Coda: The Death of Michael Corleone). Le studio impose une préparation raccourcie. Puzo et Coppola s’inspirent de faillite de la Banco Ambroziano en 1982, l’un des plus gros scandales impliquant la mafia et la banque du Vatican. Dans le script, Michael Corleone devient une personnalité respectable faisant affaire avec le Saint-Siège. La complicité entre la mafia et l’Église est clairement montrée et la mort trouble du Pape Jean-Paul Ier aussi. Coppola est frustré de cette préparation raccourcie, et passe des nuits blanches à essayer de trouver la meilleure fin possible. Mais il ne parvient pas à tuer Michael Corleone, contrairement à son idée de départ. Al Pacino se voit offrir 5 millions de dollars, mais il en veut 7 pour reprendre son rôle. Il finit par en accepter 5. Tom Hagen (Robert Duvall) est absent aussi pour un désaccord salarial et c’est dommage, nous y reviendrons.

Le parrain 3 titre

RÉDEMPTION IMPOSSIBLE

Michael passe tout le film à tenter de se racheter. La dimension shakespearienne atteint son apogée à la toute fin du film lors d’une représentation de l’opéra Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni, traitée par Coppola et son monteur attitré Walter Murch sous la forme d’une longue séquence en montage alterné comme pour les précédents films. Michael échappe à une tentative d’assassinat et voit sa fille se faire assassiner sous ses yeux sur les marches du théâtre, le symbole même de la tragédie classique. Malgré les nominations aux Oscars, des critiques mitigées et un certain succès commercial, cet ultime volet est mal jugé par rapport aux précédents. Sofia Coppola concentre la majorité des critiques et reçoit un Razzie Award, ce qui blesse Coppola.

20 octobre 2019, Lyon. Francis Ford Coppola est au Festival Lumière. Deux jours plus tôt, il a reçu le fameux Prix Lumière. Le cinéaste présente la nouvelle version du Parrain III. Il n’était pas satisfait du film lors de sa sortie et a décidé de le remodeler une dernière fois. Le réalisateur est coutumier du fait puisqu’il a déjà entrepris des nouvelles versions de certains de ses films (Cotton Club, Outsiders). Il pense, comme son ami George Lucas, que les films peuvent évoluer dans le temps. Le nouveau montage proposé ce soir-là aux spectateurs lyonnais comporte un nouveau début et une nouvelle fin et est raccourci de quelques minutes. Le dernier plan du film donne une nouvelle signification à la conclusion apportée à la trilogie. 

Que veut dire coda ? C’est la section conclusive d’un morceau de musique. Coppola et Puzo entendent donc, avec cet ultime volet, donner une conclusion digne de ce nom à une des plus grandes sagas de l’histoire du cinéma. Comme le dit Coppola en guise d’introduction du disque UHD du coffret Paramount, c’est une sorte de résumé qui bénéficie d’un nouveau montage et qui propose une nouvelle expérience au spectateur.

Dans cette ultime partie, nous sommes plus proches que jamais de l’essence du drame : la tragédie grecque. Michael avoue à sa sœur qu’il a passé sa vie à tenter de s’élever dans la société, et plus il s’élève, « plus l’escroquerie est là ». Sa fille, Mary, vit une histoire d’amour avec son cousin Vincent, le fils de Sonny. Si le film atteint sporadiquement une certaine intensité, il souffre surtout de choix artistiques discutables. Les deux premiers volets étaient construits autour de personnages forts incarnés par d’excellents acteurs qui livraient leurs meilleures performances. On ne peut pas dire que ce soit le cas ici. Coppola l’a reconnu lui-même : un Parrain sans Tom Hagen joué par Robert Duvall est incomplet. On ne peut que lui donner raison tant ce personnage est primordial pour l’équilibre de la Famille et tant l’acteur aujourd’hui âgé de 91 ans était impressionnant de retenue et de présence dans les deux premiers volets. Son absence ici est dommageable.

Sofia Coppola Le Parrain 3

Certains choix de casting sont discutables. Winona Ryder, embauchée pour jouer Mary, ne peut plus tourner pour cause d’épuisement. La fille de Coppola, Sofia, la remplace au pied levé, ce qui ne plaît pas au studio. Force est de reconnaître qu’elle ne dégage pas l’émotion nécessaire. Et si le couple incestueux qu’elle forme à l’écran avec son cousin joué par Andy Garcia est une bonne idée sur le papier, à l’écran, l’alchimie entre les deux acteurs ne fonctionne pas. On salue par contre la présence de Talia Shire et d’Eli Wallach, impeccables. Ce qu’on ne peut pas dire d’Al Pacino, dont le jeu est moins incarné que par le passé. 

Au-delà de problèmes de casting, c’est l’arc narratif du personnage de Michael qui pose question : lui qui était un homme sans pitié, sûr de lui et de ses choix, il se retrouve vieux et malade, rongé par la culpabilité, cherchant par tous les moyens à se racheter une conscience, à se faire pardonner ses crimes et à rendre ses activités légitimes. Pacino lui-même avait senti que cette évolution était illogique : « Je ne pense pas que Michael pourrait ressentir des regrets ou des remords pour ses actions, surtout en ce qui concerne le meurtre de son frère. » Pourtant, Coppola et Puzo ont choisi de faire payer Michael pour ses crimes, nous le verrons.

Quand on sait que Coppola n’a eu qu’un an pour écrire le scénario, tourner le film et le monter en raison de l’impératif dicté par le studio, et qu’il a accepté de le faire pour éponger les dettes de sa société Zoetrope Studios, on comprend mieux pourquoi Le Parrain III laisse un goût d’inachevé. Ce que Coppola essaye de corriger avec ce nouveau montage. Il change principalement le début (qui montrait la propriété du lac Tahoe abandonnée et Michael lisant une lettre écrite pour ses enfants) et la fin du film qui voyait un Michael âgé et solitaire mourir sur une chaise dans un jardin. Dans cette nouvelle version, le réalisateur interrompt ce plan final avant que Michael ne s’effondre et termine sur une citation du premier film, (When the Sicilians wish you « Cent’Anni »… it means « for long life »… and a Sicilian never forgets), ce qui signifie qu’il est condamné à vivre longtemps, à souffrir hanté par ses souvenirs. Coppola refuse la mort de son personnage, pourtant annoncée dans le titre, ironie du sort et décision d’un cinéaste qui cherche à tout prix à se détourner d’une forme de glorification de la mafia qu’on a pu l’accuser de véhiculer par le passé. Le réalisateur a déclaré : « En fait, pour ses torts, il a subi une mort pire que la mort. Il va peut-être vivre de nombreuses années après cette conclusion terrible. Mais il n’oubliera jamais quel a été le prix à payer. »

Le parrain 3

Pourquoi Coppola s’acharne-t-il ainsi sur son personnage ? Pour lui faire vivre ce que lui-même a vécu quand il a perdu son fils aîné Gio dans un accident de hors-bord en 1986 ? La fin de 1990 était plus satisfaisante et faisait écho à la mort de Brando dans le jardin du premier volet.

L’intérêt du nouveau montage du Parrain III est donc discutable. S’il est plus conforme à la vision d’origine de Coppola, il reste moins satisfaisant pour le spectateur. Ne faudrait-il pas dissuader les cinéastes de « bidouiller » leurs films en estimant qu’il est possible de les améliorer ? Le résultat aboutit rarement à une meilleure version que l’originale, à quelques exceptions près (Heaven’s Gate, Blade Runner…). Heureusement, dans le cas qui nous occupe, la version d’origine est incluse dans le coffret (contrairement aux Star Wars de Lucas) et permettra aux cinéphiles de se faire leur propre avis. 

 


CONCLUSION

Avec la trilogie du Parrain, Coppola a créé une œuvre éminemment personnelle et populaire. Si elle fascine encore cinquante ans après le premier volet et apporte à chaque nouvelle vision son lot de découvertes, c’est tout d’abord par sa faculté à transcender le genre pour créer une sorte de métaphysique du Mal. Ces films fascinent par leur violence, ces scènes de crime si étonnantes, mais aussi par leur humanité. Chacun peut s’y reconnaître dans tout ce qui nous constitue : nos peurs, nos désirs, notre ambition, notre lâcheté, notre passion. En fait, ce sont ces films qui nous regardent vieillir, et pas l’inverse. La catharsis à l’œuvre dans Le Parrain est celle de notre mauvaise conscience, alourdie par le poids de nos erreurs et des compromis avec nos valeurs. À la fin de son errance, l’homme aux mains souillées de sang peut-il enfin goûter au repos de l’éternité ? C’est tout le bien que l’on souhaite à Michael Corleone, cet anti-héros sacrifié sur l’autel de nos passions.


À lire aussi : Le Parrain partie 1 et partie 2




%d blogueurs aiment cette page :