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LE PARADIS

Depuis l’enfance, j’ai eu la chance de traverser deux mini dépressions de bonheur et j’attends, tout à fait serein, la troisième. Ça me suffit pour croire en une certaine beauté de la vie et avoir le plaisir de tenter de la filmer sous toutes ses formes : arbres, animaux, dieux, humains… et cela à l’heure où l’amour est vif. L’innocence, le cinéaste en a perdu une partie. C’est si délicat à repérer autour de soi, si difficile à ne pas perdre au tournage. Ma reconnaissance va à ceux que vous regarderez à l’écran.
Pour tenir tête au temps, j’ai une parade qui est de fouiller dans mon stock d’émotions et d’images anciennes. Non pour retrouver ce qui ne reviendra pas mais pour deviner dans l’hiver les signes du printemps. Cela permet de recommencer encore une journée d’un pas aisé. – Alain Cavalier

Voyage millénaire et éphémère

Délaissant les grands axes, le cinéma d’Alain Cavalier ne cesse, depuis quatre décennies, de * répondre en toute simplicité à l’émotion du moment. Film chuchoté, traversé par les grands récits, Le Paradis miniature d’Alain Cavalier apaise et invite le spectateur à un état de souveraine disponibilité au monde. 

Inutile de chercher à résumer ce film sans intrigue. Un peu plus d’une heure dans l’œil du Filmeur, compagnon d’un voyage millénaire et éphémère, fragile et mythique. Dans une propriété normande, havre de quiétude, un petit paon est mort. On lui confectionne un tombeau, silex gardé par trois clous plantés recourbés dans une souche. Au fil des saisons, des éclaircies sont faites en lisière du chemin mais le tombeau, dans les taillis ou sous la neige, finit toujours par être retrouvé et devient mausolée à la faveur d’une couche de peinture dorée.   

Cavalier relie le dehors et le dedans, l’infime et le suprême, dessinant une géographe intérieure sous l’influence des textes ingérés dès les plus le jeune âge chez les Frères (évangéliques, mythologiques) ici restitués, par la magie d’un petit théâtre de figurines. Une sculpture de chouette devient Athéna, un petit robot rouge représente Ulysse (on peut y voir un clin d’œil à Nono, le personnage de la série animée Ulysse 31), une branche tortueuse figure la diable. Un chapelet de courges butternut plantent un décor. 

Le paradis film

Dans une combinaison de regard et de voix, Alain Cavalier s’approprie les textes et en propose une représentation qui tutoie l’art brut et sollicite la litote. Dans l’imaginaire du cinéaste, les métamorphoses à l’œuvre associent le trivial et le sacré. Sans hiérarchie. Le film se construit autour de traces. Ici un objet, petit jars mécanique déjà aperçu dans René, là une résurgence de la mémoire.

Tremblement d’âme

De l’enfance de l’art, on retrouve le goût de fabriquer et de se raconter des histoires. Expressions bibliques et titres de fables servent de balles à un ping-pong verbal, puis on entonne une chansonnette, célèbre figure du dorica castra. Car Cavalier n’est pas seul mais entouré de jeunes gens qui, devant sa caméra, semblent personnifier l’innocence. Dehors, un Robinson en son royaume, dans la maison une jeune femme fabrique des petits fauteuils en papier, représente un Christ en croix à partir d’une allumette et d’une mèche de ses cheveux, enfin fait vibrer, lors d’une séquence d’une sensualité infinie, un bol tibétain. Au cœur du film, l’idée de transmission infuse les images. Non pas celle d’un savoir, fruit d’une éducation anachronique, mais celle d’une sensibilité au monde, décuplée par la partage.

Sur le Stardust de Lester Young, première musique additionnelle utilisée par Cavalier depuis La Chamade, nous suivons, dans un clair obscur de cabaret, la chorégraphie en stop motion d’un jars en plastique et d’un robot. Par une sorte de miracle d’évocation, les lignes rigides des deux objets dessinent, devant nos yeux ébahis, les circonvolutions d’un abandon prodigieux. 

Entre vision holistique et éloge du détail, entre exaltations panthéistes et épiphanies domestiques, Alain Cavalier déroule un fil d’une infinie ténuité, d’une incommensurable richesse, celui d’un tremblement d’âme.



#LBDM10ANS

 




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