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LE LAURÉAT

Benjamin Braddock, un étudiant fraîchement diplômé, ne sait pas quoi faire de son avenir. Lors d’une soirée mondaine chez ses parents où il vagabonde, il fait la connaissance de Mrs Robinson, l’épouse du patron de son père. La femme, d’âge mûr, entreprend de séduire le garçon et y parvient très rapidement. Benjamin découvre les joies du sexe et profite de la situation du haut de ses 21 ans. Mais les choses se compliquent lorsque Monsieur Robinson demande à Benjamin de sortir avec Elaine, sa fille. Le jeune homme accepte et en tombe amoureux, s’attirant par la même occasion les foudres de Mrs Robinson. Cette dernière, folle de jalousie, décide d’empêcher leur union en proposant sa fille en mariage à un autre homme.

The sound of silence.

Le regard dans le vague, déjà enfermé au cœur du cadre dessiné par Mike Nichols (dont c’est – seulement – le second film après Qui a peur de Virginia Woolf ?), Benjamin, fraîchement diplômé, rentre chez ses parents pour y passer l’été. Alors que le soulagement à la perspective d’une accalmie méritée devrait poindre sur son visage, ses traits tirés viennent trahir l’angoisse d’un retour signant son entrée dans l’âge adulte. Nulle trace d’allégresse pour ce Lauréat se laissant entraîner mécaniquement (à l’instar de sa valise) par l’escalator au son de Simon & Garfunkel (une brillante scène inaugurale à laquelle Quentin Tarantino rendra hommage dans Jackie Brown) : le train-train d’une vie monotone, déroulée sans encombre de l’apéritif jusqu’au dessert, se préfigure en filigrane tandis que le protagoniste principal suscite instantanément l’empathie du spectateur. Physiquement (et symboliquement ?) doublé par les autres, pourchassé par son ombre, il semble, pour le moment, incapable de s’extraire d’un système qui l’enserre et le broie en son sein.

Bientôt calfeutré dans sa chambre d’adolescent et visuellement prisonnier de l’aquarium qui s’y trouve, il subit immédiatement les assauts d’une famille et de voisins oppressants, bien décidés à former le fils prodigue selon leurs règles. Mais Benjamin a beau évoquer ses inquiétudes avec son père en lui réclamant un futur « différent », celui-ci reste sourd à ses suppliques et persiste à l’ériger en attraction auprès de son entourage. Dès lors, Mike Nichols s’emploie à installer son personnage dans des espaces étriqués où il se voit sommé de s’expliquer sur ses utopiques projets d’avenir. Sans pouvoir de décision, privé de tout répit, Benjamin tombe sous la coupe de Mrs. Robinson, une amie de la famille délaissée par son mari, qui le séduit et l’enjoint à tromper son ennui. Pourtant, loin de métamorphoser cette situation en romance fiévreuse, le réalisateur filme une relation où l’absence de sentiments entrave d’autant plus son héros. Alors qu’il pensait s’octroyer une respiration, Benjamin finit par suffoquer dans une liaison toxique, construite sur la provocation d’une femme tourmentée par ses regrets.

Dans sa vie comme dans sa piscine, le jeune homme se laisse alors dériver en attendant (ou non) l’événement qui viendra tout faire imploser. Il suffit d’observer la séquence où ses parents le harcèlent afin qu’il invite Elaine, la fille de Mrs. Robinson, à dîner, pour comprendre l’insupportable pression sociale reposant sur ses épaules. Tournant autour de son matelas gonflable comme des requins prêts à engloutir leur proie, l’un et l’autre lui refusent son libre-arbitre en choisissant, à sa place, ses fréquentations, sans toutefois sentir que leur propre perte est proche. Avec une caméra en perpétuel mouvement et un sens de l’ellipse rare, Mike Nichols retranscrit à merveille ce choc des générations façonné par une société américaine en pleine mutation. Cinquante ans plus tard, le film n’a pas pris une ride et trouve encore un vaste écho auprès d’une jeunesse révoltée, semblable à la radiographie de ce monde qui s’écroule.

Génération perdue

Reconnu comme le premier long-métrage du Nouvel Hollywood, Le Lauréat a pourtant créé un immense scandale à sa sortie en osant filmer une relation entre un jeune homme et une femme plus âgée. Dans la réalité des faits, Dustin Hoffman, encore inconnu, avait tout juste trente ans (Benjamin étant supposé en avoir vingt), soit à peine six de moins que sa partenaire, Anne Bancroft. Au-delà de son sulfureux parfum d’époque, le film est surtout resté dans les mémoires grâce à la précision de sa mise en scène, l’excellence de ses acteurs, l’intemporalité de sa bande originale et la portée intacte de son propos. En une heure quarante, Mike Nichols est parvenu à exprimer le désarroi d’une génération confrontée à l’influence écrasante de ses ascendants. Si l’on accompagne exclusivement Benjamin pendant toute la moitié du film, sa rencontre avec Elaine s’avère déterminante et bouleverse la destinée du personnage. D’abord amorphe et passif, Benjamin devient combatif et loquace au contact d’un double conditionné, à son tour, par l’inanité de ses parents.

Réunis puis séparés malgré eux, les deux jeunes gens finissent par se retrouver dans une scène emblématique, symbole d’une inversion aussi salvatrice que douloureuse des rapports de force. Après avoir cherché Elaine en vain, Benjamin l’arrache à ses obligations le jour de son mariage avant de s’enfuir, avec elle, de l’église. Mais ce qui pourrait être une séquence romanesque, voire romantique, prend une tournure tragi-comique inattendue. Benjamin arrive trop tard sur les lieux, si bien que les consentements d’Elaine et de son nouveau fiancé, ont déjà été échangés : las, l’éternel lauréat semble cruellement voué à délivrer de leurs conditions des femmes engagées auprès d’autres. Dans une panique généralisée, Elaine s’affranchit, pour sa part, d’un héritage impossible à tolérer plus longtemps en écoutant ses propres envies et en s’éloignant définitivement du modèle maternel (le fameux dialogue « It’s too late ! / Not for me. »). Pourtant libératrice – et drôle dans la spontanéité de ses élans –, la scène se teinte d’une dernière note indéchiffrable. Au fond d’un bus filant vers un ailleurs incertain, les visages de Benjamin et d’Elaine se crispent soudainement. Tristes, amèrement joyeux ou simplement lucides, tous deux paraissent dire adieu à leurs illusions, conscients de n’être plus que des enfants d’hier ayant joué une ultime facétie à leurs parents. Comme un écho au premier plan, les mines redeviennent inquiètes, saisies en tournant le dos à un passé aliénant sans savoir si l’avenir leur offrira ce qu’elles désirent : un peu de temps avant de devenir des adultes emportés par le tourbillon de la vie.

La fiche

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LE LAURÉAT
Réalisé par Mike Nichols
Avec Anne Bancroft, Dustin Hoffman, Katharine Ross…
Etats-Unis – Comédie dramatique, romance
Sortie : 1967 (ressortie 12 juillet 2017)
Durée : 106
 min




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