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LE KIOSQUE

Paris, un kiosque à journaux. Alexandra est réalisatrice, fille, petite-fille et arrière-petite-fille de kiosquiers. Elle est venue prêter main-forte à sa mère et, comme dans un vieux rêve d’enfant, joue à la marchande. Mais la presse papier et les commerces de proximité sont en crise, et ce petit jeu s’avère finalement plus compliqué que prévu… 

Critique du film

Comment transformer un champ visuel restreint, un bout de trottoir entre deux œillères en fenêtre sur le monde ? C’est le pari réussi de ce film bricolé avec un téléphone et beaucoup d’enthousiasme. Le Kiosque, sous la double influence d’Alain Cavalier et de Michel Gondry, est un bonheur d’humanité tendre. Alexandra Pianelli, après six ans d’études artistiques, s’est retrouvée caissière du kiosque à journaux tenu par sa mère, Place Victor Hugo, Paris XVIe. Elle a filmé, au fil des années, la chronique d’un monde qui disparaît tout en tricotant le récit d’un petit théâtre de personnalités aussi hétéroclites qu’attachantes. 

Théâtre de poche

Il y a d’emblée, un amateurisme assumé. Alexandra Pianelli met en place un dispositif cinématographique, fait de bric et de broc, coutures surlignées au fluo. Ainsi l’entend-on « diriger »  son compère Loïc et plus tard sa maman et la voit-on installer son téléphone sur une trépied de pacotille. L’exiguïté du kiosque répond à deux enjeux, faire entrer dans cet espace infime le plus de vie possible, et témoigner de la pénibilité de ce métier exercé dans la famille depuis quatre générations. Entourée des 3 000 titres de presse disponibles à la vente, la réalisatrice nous présente les coulisses de ce capharnaüm organisé où chaque centimètre carré doit être rentabilisé.  

Défilent devant la caméra, transformant le lieu en théâtre de poche, les clients et autres habitués du quartier. Manouch et ses biscuits, Christiane et son voisin co-inventeur d’Internet auquel elle ne comprend rien (Louis Pouzin en personne !), Damien qui vit dans la rue, perpétuellement à la recherche de son chat. Pour tous ces gens, le lieu est une boussole, pour beaucoup d’autres aussi qui ne s’arrêtent que pour demander leur chemin. On raconte un peu sa vie, sans méfiance ni prétention. 

Damien offre deux euros à une cliente en quête de monnaie pour acheter un ticket de métro. Très gênée, elle finit par accepter :

« C’est horrible » dit-elle

« C’est pas horrible, c’est humain », répond-il en se délestant de quelques pièces

Ces séquences sont ponctuées de dessins de la réalisatrice, croquis à l’aquarelle, naïfs et colorés auxquels se rajoute une mélodie de boîte à musique, guillerette et légère.

Le kiosque film

Fin de partie

Sa modestie à croquer le petit peuple de Paris font du Kiosque un projet plus proche de Robert Doisneau ou Alain Cavalier que d’Amélie Poulain. Ici les cartes postales ne sont pas sur l’écran mais en vente sur présentoir.

Le ton enjoué du film se teinte peu à peu d’un voile d’inexorabilité. Vendre la presse est de plus en plus compliqué. Alexandra Pianelli ajoute à son journal de bord des pastilles pédagogiques, très gondriennes dans leur facture. Ainsi nous est contée l’histoire des kiosques, leur appartenance actuelle au groupe JC Decaux, qui les exploite avant tout en supports publicitaires, leur dépendance aux agences de presse, l’inexorable érosion globale d’un commerce débordé par le tout numérique. Ce n’est pas un samedi de Manif’ pour tous, et ses ventes providentielles de la presse d’extrême droite qui changera le sens de l’Histoire. La mère d’Alexandra a pris sa décision, elle va faire valoir ses droits à la retraite. 

Sans nostalgie ni pathos, Pianelli enregistre cette « fin de partie », le rideau se referme sur quatre générations de kiosquiers, l’information ne fera aucun entrefilet dans la presse. Comble de tristesse, ce n’est plus Damien qui cherche son chat mais le contraire.

Bande-annonce

6 octobre 2021De Alexandra Pianelli




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