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LE GRAND MOUVEMENT

Elder arrive à pied à La Paz après sept jours de marche pour protester avec ses amis mineurs contre leur renvoi des mines de Huanuni. Bientôt Elder tombe malade et la métropole l’asphyxie peu à peu. Max, sorcier des rues, sillonne, lui, sans relâche les confins de la ville qui semble ancrée au plus profond de son être.
Des entrailles de la Terre aux 3600 mètres d’altitude de la capitale bolivienne, le chemin d’Elder, le damné, croisera celui de Max dans une symphonie urbaine rédemptrice.

Critique du film

Portrait d’une ville mais aussi chronique sociale teintée de fantastique, Le Grand mouvement, deuxième film du bolivien Kiro Russo, donne à voir tout un monde de forces bouillonnantes et contradictoires. Un film à écouter autant qu’à voir, gorgé d’une vibration semblant remonter du fond des âges et zébré de fulgurances audiovisuelles.

À quoi tient d’être happé par un film dès les premières images ? Une certaine étrangeté ? Un style ? Ici, une vue panoramique suivi d’un lent et long zoom pour sonder le cœur battant de la ville suffisent. Au son saturé de fréquences cacophoniques, la caméra ausculte l’outrance devenue règle d’un paysage urbain saturé – embouteillage, enchevêtrement de fils, murs recouverts d’affiches – tableau suffocant de la plus haute capitale du monde, la bien mal nommée La Paz. L’expression « décor naturel » vaut, quand bien même il doit tout à la main de l’homme et à son goût pour la destruction de la nature. La ville accueille une convulsion supplémentaire avec la manifestation des mineurs d’Oruro venus réclamer du travail après une semaine de marche collective. Ils jettent leurs dernières forces dans le chant d’un slogan rassembleur et volontariste : « Mineur dans le sang, cœur de combattant ».

Le film atteint presque sa demi-heure et rien ne permet d’affirmer qu’il s’agit d’un documentaire ou d’une œuvre de fiction. La part fictionnelle augmente alors que le récit se resserre autour d’Elder qui découvre la capitale avec deux compagnons de lutte. Sujet à une fatigue extrême et assailli de divers maux, Elder se voit recueilli par Mama Pancha, marraine providentielle.

Le grand mouvement

Le Grand mouvement annoncé par le titre se révèle polysémique. Il s’agit au premier regard de cette longue marche de protestation des mineurs, mais aussi d’une trajectoire oblique qui se dessine, suivant le parcours du gigantesque réseau de télécabines qui relie la ville à la montagne. C’est encore le voyage intérieur effectué par Elder sous l’effet des soins prodigués par Max, le sorcier de la forêt. C’est enfin l’étendue du champ esthétique mobilisé par Kiro Russo.

Mama Pancha confie Elder aux bons soins de Max, hère et sorcier. Le mineur et le vagabond sont, chacun à leur manière, connectés au pouls terrestre éternel. Le film bascule peu à peu du fracas social et urbain au chaos mental dans lequel est plongé Elder. Russo abandonne son récit aux puissances du fantastique, flirtant avec un cinéma expérimental pour traduire visions hallucinatoires et délires fébriles. 20 minutes d’un cinéma prodigieux, au cœur des zones obscures merveilleuses d’où sourdent les échos de Pedro Costa et Apichatpong Weerasethakul. La séquence se conclut par une écran noir – ténèbres d’où finissent par émerger un halo qui prend très progressivement les traits du visage d’Elder. En guise de renaissance, trois expirations. Sublime.

Le Grand mouvement ravira les adeptes d’un cinéma sensoriel et poétique qui s’empare du réel pour le transfigurer. À travers le corps éreinté d’Elder, Russo filme un système à bout de souffle, celui de l’ultra exploitation qui ne maîtrise plus le monstre d’avidité, celui aussi qui tourne le dos aux richesses immémoriales et négligent ceux qui les véhiculent. Au pays où a été exécuté Che Guevara. Le film, Prix spécial du jury Orizzonti au dernier festival de Venise, devrait apporter une juste reconnaissance internationale à son réalisateur.

Bande-annonce

30 mars 2022 – De Kiro Russo
avec Julio César Ticona, Max Bautista Uchasara et Francisca Arce de Aro




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