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LE GRAND CHARIOT

Le Grand Chariot est une constellation d’étoiles. C’est aussi un théâtre de marionnettes. C’est l’histoire d’une famille de marionnettistes, une fratrie, Louis et ses deux soeurs, Martha et Lena, leur père qui dirige la troupe et la grand-mère qui a fabriqué les poupées. Ensemble, ils forment une compagnie et donnent des spectacles de marionnettes. Un jour, lors d’une représentation, le père meurt d’une attaque, laissant ses enfants seuls.

Critique du film

Si les intervalles entre chaque film sont plus longs, la filmographie de Philippe Garrel continue de s’étirer, avec une ultime collaboration avec le grand scénariste que fut Jean-Claude Carrière, décédé en février 2021. Le Grand chariot est à la fois le nom de ce nouveau projet, mais également celui d’un petit théâtre familial de marionnettes tenu par une famille de comédiens. La métaphore est ici évidente, le père étant le fondateur de cette troupe, aidé par son fils Louis, et ses filles Martha et Lena. À un prénom près, les personnages reprennent les identités réelles de la famille Garrel, la grand-mère très présente pouvant également être un alter-ego de Maurice, le père de Philippe, qui fut un élément important de nombreux films de son fils cinéaste.

À partir de cette base très autobiographique, l‘auteur déploie une histoire qui tient sa singularité du choix du spectacle de marionnettes, discipline traditionnelle qui est présentée comme mourante, trop ancrée dans une tradition de pièces datées qui n’attire plus beaucoup de spectateurs. Une des premières choses marquantes de cette histoire est la précarité de cette scène artistique, symbolisée par le personnage de Pieter, marginal qui n’a eu de cesse de vivoter, se consacrant à la peinture, activité peu rémunératrice qui le consume dans une fièvre inquiétante. Si le portrait familial est intéressant dans ses aspérités et sa logique très méta qui évoque la famille Garrel et ses trois générations d’artistes, on se perd quelque peu dans une direction d’acteurs très minimaliste qui peine à donner une intensité dramatique suffisante.

On remarque malgré tout le talent de Louis Garrel pour l’humour, son personnage en étant truffé, chacune de ses phrases étant bordées par ces petits traits sarcastiques, qui créent une distance avec le drame, dont il devient coutumier depuis quelques années. Son alchimie avec sa sœur Esther est également un atout du film. Leurs échanges, même si brefs, sont forts et plein d’émotions, alors que paradoxalement le film en manque à d’autres moments, notamment quand des personnages s’éclipsent du film ou que la tempête fait disparaître le petit théâtre familial, pourtant l’enjeu de toutes les problématiques du scénario. Tout ce qui entoure Pieter est sans doute ce qui fonctionne le moins, tellement ce personnage semble un corps étranger dans la famille de fiction que crée Philippe Garrel, et ses échanges et « aventures » se révèlent inintéressants au milieu des luttes de la fratrie pour, d’une part faire subsister leur troupe, et de l’autre les choix de vie importants qui s’opèrent après le décès du père.

Il émane un sentiment d’inaboutissement à cette histoire, comme s’il était difficile de lui trouver une conclusion et ainsi un axe de progression dramatique convaincant. Ce théâtre semble bien loin du monde qui l’abrite, comme extrait de la société, avec comme seule passerelle le temps d’une représentation qui ouvrirait quelques instants ce microcosme à ce qui est sensé l’entourer : le public. Si les films de Philippe Garrel sont de plus en plus resserrés autour de motifs simples et ténus, son cinéma, devenu narratif avec le temps, reste assez éloigné des artifices propres au cinéma contemporain, avec une tendance à verser dans le théorique, manquant par conséquent de générosité. Celle-ci semble pourtant proche, juste en dessous de la surface visible du plan, comme si elle ne demandait qu’à surgir, notamment dans les échanges de ses enfants qu’il filme pourtant admirablement bien depuis plusieurs décennies.

Bande-annonce

13 septembre 2023 – De Philippe Garrel, avec Louis Garrel, Esther Garrel et Léna Garrel.


Présenté en compétition à la Berlinale 2023




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