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LE FILS DE L’ÉPICIÈRE, LE MAIRE, LE VILLAGE ET LE MONDE

C’est l’hiver dans le petit village de Lussas, en Ardèche, et les agriculteurs sont tout entier à la taille des vignes. Soutenu par le maire Jean-Paul Roux, son ancien camarade de classe Jean-Marie Barbe se lance dans une entreprise toute singulière : la création d’une plateforme numérique par abonnements, dédiée aux documentaires d’auteur. C’est la naissance de Tënk, aux allures de start-up, tendance rurale. Aux côtés de Jean-Marie, l’équipe va-t-elle gagner le pari de cette entreprise économique ?

Critique du film

À travers le microcosme d’un village, Claire Simon questionne le local et le global, le groupe et l’individu, la fragilité et l’endurance. Un film témoignant d’une confiance absolue en son pedigree, le cinéma documentaire de création.

Des rues désertes d’un village lambda à un sirtaki géant et festif, Claire Simon prend le pouls de Lussas, Ardèche, 1 100 habitants. C’est ici que Jean-Marie Barbe est né il y a 66 ans, ici qu’il a créé l’association Ardèche images en 1979, puis le festival États généraux du documentaire dix ans plus tard. Nous sommes au début de l’année 2016 et deux nouveaux projets sont en gestation. D’une part, la création de Tënk, plateforme dédiée au cinéma documentaire, d’autre part la construction d’une Maison du documentaire qui hébergera toutes les activités développées depuis 40 ans.

Jean-Marie Barbe n’a jamais voulu quitter son village natal où ses parents tenaient l’épicerie, il n’a pour autant jamais renoncé à ses rêves. Autour de cet homme énergique et charismatique, la caméra de Claire Simon distingue deux cercles, celui, rapproché, des collaborateurs avec lesquels il se bat pour obtenir financements, visibilité et reconnaissance et celui des habitants du village et leur maire, Jean-Paul Roux, indéfectible soutien. Les deux hommes se connaissent depuis l’école primaire. Jean-Marie Barbe est convainquant, souriant, habité par une conviction. De ces hommes locomotives qui accrochent à leur leadership compétences et dévouement. De ces hommes aussi auxquels on ne s’oppose pas facilement, en témoigne le départ, pour divergence de vues, de Diane Veyrat, cofondatrice de Tënk.  

Petite fabrique du lien

Alors que les promesses de subvention vont et viennent au gré des aléas politiciens, les villageois observent le chantier de la Maison du documentaire. Il se murmure que la Ministre de la culture (Audrey Azoulay à l’époque) pourrait venir poser la première pierre. Le festival a déjà inscrit depuis longtemps Lussas sur la carte des lieux du cinéma français qui comptent, mais Jean-Paul Roux doit sans cesse expliquer son soutien à des administrés parfois dubitatifs. Ici, il n’est pas question d’arbre à raser comme chez Rohmer auquel le titre rend hommage (L’Arbre, le maire et la médiathèque, 1993), mais d’économie rurale à soutenir et d’équilibres budgétaires à préserver. 

Le film gagne en profondeur en entremêlant ces différentes lignes de vie, parfois parallèles, parfois communes. Parmi les agriculteurs émerge la personnalité de Patrice Bauthéac, ingénieur revenu travailler les terres familiales après avoir parcouru le monde. Ses journées ne lui laissent pas le temps de voir des films. Barbe et Bauthéac partagent le même soleil et parfois la même grêle. L’agriculteur regarde ses fruits mûrir pendant que le cinéaste (il l’est avant tout) scrute le nombre d’abonnés de la plateforme. Deux acteurs d’un petit territoire qu’ils ont choisi d’habiter, d’animer, d’insuffler. Un choix de vie qui apparaît aujourd’hui au comble d’une modernité dont le film saisit parfaitement les enjeux parmi lesquels une priorité guide les autres : donner un sens à son activité. Cette modernité s’appuie sur la technologie pour relier le local et le mondial, mais aussi sur un ancrage qui est le contraire d’un recroquevillement : le documentaire n’a pas de frontière, Tënk a une vocation internationale.

Au fond, Claire Simon filme une petite fabrique du lien, qu’il soit virtuel ou de voisinage. On appellerait cela une utopie si son film n’était pas le témoignage d’une réalité des possibles, d’autant plus précaire qu’elle est humaine, d’autant plus durable qu’elle est incarnée.

Bande-annonce

1er septembre 2021 – De Claire Simon




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