THE SHOUT

LE CRI DU SORCIER

Robert Graves, médecin psychiatre, est associé à un mystérieux patient, Crossley, pour comptabiliser les points d’un match de cricket organisé pour occuper l’après-midi des pensionnaires d’un hôpital psychiatrique anglais. Laissant le soin à Graves d’officier, Crossley se lance dans l’évocation de son passé. De retour d’un séjour de 18 ans chez les Aborigènes Australiens – où il découvrit la sorcellerie et tua ses deux enfants – il investit la maison, et la vie des Fielding, un couple anglais sans histoires. Menaçant ceux-ci d’user de son « Cri du Sorcier », censé tuer quiconque l’entend à la ronde, il prend possession de la demeure du couple, à la fois fasciné et répugné par cet homme au charisme et aux pouvoirs captivants…

Possession

Quels types de films construisent une cinéphilie ? Question ardue et intime à chacun.e à laquelle on peut néanmoins apporter des éléments communs à tout le monde. Il y a le chef d’œuvre classique de chez classique, les films de genre reconnus par une niche ou le grand public, le film qui symbolise une époque ou une mentalité ; tous ces films comptent. Mais il y a une autre catégorie, encore plus informelle et intime. Ici, la durée, le genre ou la technique importent peu ; seule compte ce que le film nous fait ressentir. Être conscient de ses limites, de ses défauts, sans que cela ne remette en cause le 35 tonnes émotionnel qui nous tombe dessus sans prévenir. Et l’élément de surprise y est primordial et nécessaire ; l’impact sera ainsi maximal et nous poursuivra toute notre vie. 

The Shout (Le Cri du Sorcier en VF) ne bénéficie pas, aujourd’hui encore, d’une notoriété très forte. Il faut dire que Jerzy Skolimowski, son réalisateur, a une filmographie très fournie où Deep End et Le Départ éclipsent un peu le reste. En 1978, le bonhomme a déjà une carrière fournie, ayant connu plusieurs carrières, entre la Pologne (son pays d’origine) et l’Angleterre (après un passage en France et en Belgique). Un routard du Septième Art très doué qui bénéficie pour ce film d’un producteur enthousiaste qui lui dégote la crème des acteurs britanniques de cinéma et du théâtre (Tim Curry, Susannah York, John Hurt, Robert Stephens) et deux musiciens du groupe Genesis (Michael Rutherford et Tony Banks) pour en composer la bande-son (qui apporte beaucoup à l’ambiance mystérieuse du film). L’histoire d’un homme qui s’installe dans une famille lambda (les Fielding) et qui raconte de drôle de choses sur un cri qui tue appris d’un chaman aborigène*. 

Skolimowski brouille sciemment les pistes. Par sa mise en scène, aux cadres millimétrés et souvent élégants qui jouent sur les formes et les perspectives tout en se moquant constamment de cette bourgeoisie anglaise symbolisée par cette partie de cricket jouée dans un asile psychiatrique (qui fait office de fil rouge ici). Aussi par son montage, alternant passé et présent le temps d’une micro-scène et mélangeant des séquences dans le but de suggérer une réaction ou d’anticiper une conséquence. C’est là que le film trouve ses limites : si le dispositif peut plaire lors de la première partie du métrage, il devient un peu trop systématique par la suite et certains inserts ne sont pas toujours très pertinents. Malgré sa courte durée (86 minutes), Le cri du sorcier peut apparaître assez creux et redondant dans ses effets et dans son histoire.

Pourtant ce film a un truc qui le rend spécial. Une ambiance, une aura surnaturelle qui le rend fascinant et effrayant. Car Le cri du sorcier est un film d’horreur, un vrai : une angoisse qui croit au fil des minutes, un aspect malsain qui se met en place quand Crossley prend petit à petit possession de cette famille et de son habitat et le cri, ce fameux cri (de Jerzy) qui résonne encore et toujours dans les oreilles. Alan Bates et Susannah York y sont pour beaucoup là-dedans : lui avec sa carrure imposante et son charisme brosse un portrait de psychopathe plus vrai que nature, toujours sur le fil de la vérité, rempli d’une violence sourde ; elle, dans une attitude de femme négligée qui, peu à peu, semble trouver une certaine libération dans une relation néanmoins abusive. Des acteurs parfaits pour satisfaire l’intention de Skolimowski de mélanger la réalité avec le surnaturel dans cette Angleterre campagnarde et passéiste, le tout au premier degré, chose rare dans le cinéma occidental (mais que l’on retrouve chez son compatriote Andrzej Zulawski, dans un style certes différent), et qui est très réussi ici.

Pas le plus grand film du monde ni le meilleur de son auteur ; mais Le cri du sorcier est clairement un de ces films qui restent coincés dans un cerveau pendant une paire d’années. Il fait partie de cette catégorie de films qui se découvrent par surprise, sans crier gare. Des films atypiques difficiles à trouver (forcément) mais qui nous apportent des émotions et des images impossibles à trouver ailleurs. Et qui attendent uniquement d’être découverts, au hasard d’une touche de télécommande.


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*La culture aborigène est méconnue ici ; une des manières de mieux la connaître, outre les ouvrages scientifiques, peut être la série de livres policiers écrits par Arthur Upfield et mettant en scène l’inspecteur Napoleon Bonaparte (surnommé Bony), un métis qui se sert de sa culture aborigène pour résoudre des affaires criminelles dans des coins reculés d’Australie. En France, ils sont édités chez 10/18 ; une liste est disponible ici : https://en.wikipedia.org/wiki/Bony_(character)



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