Ivan Mosjoukine, Nathalie Lissenko

LE BRASIER ARDENT

En rêve, une jeune femme est pourchassée par un inconnu, qui tout d’abord tente de l’attirer dans un brasier ardent dans lequel il est enchaîné, puis qui change sans cesse de personnalité avant de se transpercer d’un poignard. Le lendemain, son mari engage un détective pour qu’il lui « restitue l’âme de sa femme » qu’il pense avoir perdue.

Critique du film

Fondée en 1920 à Montreuil, la société de production Albatros est une étrangeté. Elle intervient trois ans après la révolution d’octobre qui voit la Russie devenir l’Union soviétique avec Lénine comme chef d’État, et le communisme comme idéologie. S’en suit un exode de ceux qu’on a appelé les « russes blancs », aristocrates et autres alliés de l’ancien régime tsariste qui ne voulaient pas voir leurs fortunes confisquées par le nouvel État collectiviste. Les films Albatros sont donc d’une certaine manière les continuateurs du cinéma russe d’avant la première Guerre mondiale. Francophiles, ils se retournent vers la France et la région parisienne pour continuer leurs activités cinématographiques. Parmi eux on trouve, notamment, le réalisateur Alexander Volkoff, et l’acteur Ivan Mosjoukine.

Leur association, au tout début des années 1920, va livrer parmi les plus grands chefs d’œuvres du cinéma muet. Le premier d’entre eux est Le brasier ardent, qui voit pour la première fois Mosjoukine crédité à la fois du scénario mais aussi de la mise en scène. Mosjoukine est déjà une star à son arrivée en France, actif depuis 1911, il a brillé sur la scène russe, notamment dans un film comme Le père Serge, réalisé par Yakov Protazanov en 1917.

Installés dans des studios de la firme Pathé, les deux hommes collaborent pour créer ce qui est sans doute l’un des temps forts de ce premier cinéma. Tout d’abord, Le brasier ardent est un trésor de créations visuelles. Comme beaucoup de productions de ce début du XXème siècle, la pellicule fut teintée pour apporter une couleur correspondant aux émotions du film. Cette restitution apporte énormément à la qualité de l’histoire, composant une narration unique et riche. Si le film n’abuse pas de la technique de la surexposition, consistant à poser plusieurs images les unes sur les autres, il développe habilement des artifices optiques qui restent, aujourd’hui encore, inégalés et inoubliables.

le brasier ardent
Preuve en est cette scène où le mari, au désespoir d’avoir « égaré » son épouse, pénètre dans un immeuble où se trouvent les détectives qui vont être chargés de « récupérer l’âme de sa femme ». L’homme affolé erre de couloirs en couloirs, rencontrant des figures colorés, pour une scène jouissive et inventive en diable. Il se retrouve ensuite confronté à un aréopage d’illustres professionnels aux visages plus fantasques les uns que les autres. La révélation de leur véritable nature, dans un jeu de passe passe toutes grimaces dehors, est lui aussi un grand moment de burlesque et de créativité. Il est difficile de cesser d’admirer les trouvailles de Mosjoukine, que ce soit devant ou derrière la caméra.

Car si on le savait acteur de génie, sans doute le plus grand de son temps, il démontre ses qualités de metteur en scène, maniant le champ contrechamp pour donner du rythme à son film, alignant les scènes oniriques aux scènes comiques, ce avec une virtuosité jamais mise en défaut. Le brasier ardent est drôle, truculent, jamais avare de détails et de grandiloquence dans sa direction d’acteurs. Natalie Lissenko n’est pas en reste, compagne de l’acteur réalisateur, elle fut la muse des productions Albatros, confirmant dans cette décennie tout son talent. On retrouve en effet leur alchimie si particulière l’année suivante dans Kean ou désordre et génie. La réalisation est ici créditée à Volkoff, mais on y retrouve la même énergie, qui transporte et fascine, notamment dans sa manière de transmettre l’amour du cinématographe.

Que ce soit dans l’un ou l’autre de ces films, on retrouve un même intérêt pour la construction du plan, sa composition toujours orchestrée avec un soin méticuleux. Le brasier ardent est une offrande merveilleuse faite à leur public par le tandem Mosjoukine/Volkoff. Il est à la fois une comédie, une romance passionnée, mais également une métaphore presque surréaliste qui navigue dans les rêves de ses protagonistes, avec une générosité qui en fait l’un des plus beaux films jamais conçus, tout simplement.


Disponible sur Henri la plateforme en ligne de la Cinémathèque française.


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