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LA VALLÉE DE LA PEUR

Territoire du Nouveau-Mexique, au début du XXe siècle, Medora Callum recueille Jeb Rand, un jeune enfant dont le père vient d’être assassiné, et l’élève avec ses deux propres enfants, Thorley, alors âgée de trois ans, et Adam, quatre ans. Ceux-ci devenus adultes, elle veut partager ses biens en trois parts égales, ce qui provoque avec Adam, qui a toujours considéré Jeb comme un intrus, un conflit, exacerbé par la naissance de relations amoureuses entre Thorley et Jeb…

Critique du film

Le western est un genre éminemment riche qui souffre néanmoins d’un délit de sale gueule : celui d’être d’un ancien monde, réac’ et barbant, racontant toujours les mêmes histoires avec les mêmes figures héroïques souvent joués par John Wayne. Il est vrai que les bons westerns se comptent sur les doigts d’une main depuis 1992 et la sortie d’Unforgiven du grand Clint. Et il faut bien avouer qu’un bon paquet de westerns vus durant notre enfance racontent peu ou prou la même histoire : celle d’un bon gars (blanc) de l’Ouest américain se battant pour sa justice personnelle, celle de ses proches ou de sa communautés, le tout contre des méchants souvent Indiens et/ou Mexicains. Comme tout genre surexploité par l’industrie cinématographique, le western avait tout du bon filon pour se faire de l’argent facile pour les studios de l’époque. Mais ça ne doit pas faire oublier que le western a aussi accouché de grands films, qu’ils soient “classiques” ou “révisionnistes”, avec des réalisateurs légendaires pour les filmer. Et entre ces deux couches, on trouve un paquet de bons ou très bons films moins connus mais qui valent tout autant notre attention.

La vallée de la peur (dont le titre original est Pursued, soit Pourchassé ce qui colle bien mieux au film que celui choisi, mais passons) est clairement fait de ce bois-là. Pourtant, son scénario est classique (une histoire de jalousie entre un fils adopté et un fils naturel, sur fond de quête de vérité du premier quant au meurtre de sa famille des années auparavant), son déroulé l’est tout autant (le fils adopté cherche sa place dans la communauté tout en cherchant la vérité sur son passé) et on y retrouve certains clichés du genre. Pourquoi le regarder en particulier dans ce cas ?

Jalousies fraternelles

Déjà pour le nom du réalisateur derrière la caméra. Raoul Walsh est un géant de l’âge d’or hollywoodien, avec John Ford ou Howard Hawks. En 1947, quand La vallée de la peur sort en salle, il a déjà une petite trentaine d’années de carrière derrière lui. Le metteur en scène new-yorkais au cache-oeil (il le perd dans un accident de voiture sur un tournage à la fin des années 20) est un touche-à-tout qui aime jongler entre différents genres : le film noir, le film d’aventures, le biopic et même le film sportif (avec le merveilleux Gentleman Jim). Il sait les manier et les mixer comme bon lui semble. Rien d’étonnant donc à le voir faire preuve d’une certaine audace ici et de faire de ce scénario un western film noir à la saveur fortement mélodramatique et hautement psychologique.

Est-ce que cela fonctionne ? Globalement oui. Walsh est suffisamment expérimenté pour savoir comment mener sa barque. On y retrouve donc certains poncifs du western (la vie rude du Nouveau-Mexique, les duels, les antagonismes surlignés dignes du théâtre) inclus au sein d’une narration lente et intimiste, qui se focalise sur la personnalité de Jeb, le fils adopté par la famille Callum, traumatisé par l’assassinat de sa famille et obsédé par la recherche de la vérité sur son passé mais aussi sur la personne qu’il aurait pu être sans cela. Loin d’alourdir le film, cette narration (qui lorgne sur celle des livres de Steinbeck) lui donne au contraire de la chair, d’autant plus qu’il dessine ses personnages principaux en nuances de gris, loin de toute superficialité.

La concurrence et l’incompréhension entre les deux frères (Jeb et Adam) a même des accents steinbeckiens par moment, une forme de désespoir de l’un de voir sa part lui échapper et de l’autre de voir sa vie manquer de sens malgré tout ce qu’il entreprend pour la remplir. Alors bien sûr, l’intrigue est assez convenu et le parcours de Jeb se devine rapidement ; mais Walsh ne cache pas son personnage et le dévoile entier, bien aidé par un Robert Mitchum qui prouvait alors qu’il pouvait tenir un rôle principal sans problème.

La surcouche du film noir intervient dans l’ambiance suspicieuse et violente qui entoure Jeb. De par sa présence et sa réussite, il dérange. De jeune patriote acclamé à son retour de guerre, il (re)devient une brebis galeuse qu’il faut éliminer ; et le danger vient de tous les côtés. Là aussi, rien n’est très original et l’ambiance est tout de même assez légère, surtout venant de Walsh qui s’y connaît en la matière et a fait mieux par le passé. Mais comme il s’y connaît, on se prend au jeu. Encore une fois. Seuls le mélodrame et la relation entre Thor et Jeb semblent parfois forcés (à cause d’une écriture qui manque de finesse à ce niveau), mais rien d’insupportable pour autant.

Si Raoul Walsh a de meilleurs films dans sa très longue filmographie, La vallée de la peur n’en reste pas moins une réussite. Un film à voir pour les amateurs des mélanges des genres, les amateurs de bons westerns mi-classiques mi-révisionnistes ou les amateurs de bons films, tout simplement.


Disponible sur OCS


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