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LA PLACE D’UNE AUTRE

Nélie a échappé à une existence misérable en devenant infirmière auxiliaire sur le front en 1914. Un jour, elle prend l’identité de Rose, une jeune femme qu’elle a vue mourir sous ses yeux, et promise à un meilleur avenir. Nélie se présente à sa place chez une riche veuve, Eléonore, dont elle devient la lectrice. Le mensonge fonctionne au-delà de ses espérances.

Critique du film

Si La place d’une autre d’Aurélia Georges s’inscrit dans un moment historique particulièrement fort, le cœur de la Première Guerre mondiale, il est aussi le récit d’une opportunité. Lyna Khoudri est au centre de chaque plan, jeune femme orpheline sans condition qui par un aléa propre à un moment où règne la confusion, a la possibilité de changer de vie et d’enfin, peut-être, avoir une chance de dépasser le statut de femme pauvre sans perspectives concrètes. D’une certaine manière, l’autrice place son personnage à la croisée de plusieurs chemins, avec le fol espoir que tout puisse changer presque par magie. Le film s’inscrit dans un moment de l’histoire où les identités ne sont attestées que par très peu de choses, une lettre, un vêtement où est brodé votre nom, des gens qui vous reconnaissent. Au milieu du tumulte d’une guerre qui cause des millions de morts et de disparu.e.s, Nélie peut rêver devenir quelqu’un d’autre.

C’est précisément à partir de cet instant, quand le choix se présente, que le film devient intéressant et déploie toute une somme de possibles passionnante. Les premières scènes sont moins réussies. L’exposition présentant Nélie est assez frustre, on la voit renvoyée de sa place de femme de maison, se prostituer pour survivre, vivre dans la rue sans aucune ressources. Son embauche comme infirmière par la Croix-Rouge est le tournant à la fois de l’histoire mais aussi du rehaussement qualitatif du film. C’est là que Nélie rencontre Rose Janvier, jouée par Maud Wyler, qui doit gagner la demeure d’une amie lointaine de son père qui vient tout juste de décéder. La croyant morte après un bombardement, Nélie va littéralement prendre sa place et devenir la lectrice d’Eléonore, riche châtelaine qui se prend instantanément d’affection pour elle. Mais c’est aussi une rencontre magnifique entre deux grandes actrices, Lyna Khoudri, remarquée dans Papicha, et l’immense Sabine Azéma.

C’est leur relation, qui a tout d’un amour filial naissant, qui va donner ses lettres de noblesse à La place d’une autre. L’intrigue et la tension dramatique autour de l’usurpation d’identité deviennent presque secondaires. C’est l’amour qui apparaît entre les deux femmes, la tendresse de leur rapports, qui donnent toute son énergie au film. Aurélia Georges se sert avec beaucoup d’habileté de toutes les cartes du film d’époque. Si nous avons déjà souligné les possibilités scénaristiques induites par l’époque pour ce qui est du changement de vie, le début du XXème siècle permet également un travail sur la lumière, les ombres et les costumes, mis en valeur par le directeur de la photographie de Jacques Giraud, qui officie également sur Petite nature de Samuel Théis. On peut noter également quelques très beaux seconds rôles, avec outre Maud Wyler déjà citée, un très bon Laurent Poitrenaux, remarquable en ce début d’année 2022 dans ce rôle de neveu et de pasteur, qu’on pourra également voir dans le très réussi Les promesses de Thomas Kruithof à la fin du mois de janvier.

la place d'une autre

Le film tourne autour des thématiques propres au concept du retour de Martin Guerre, fait divers du XVIème siècle qui est la matrice de bien des histoires d’usurpation d’identité suite à un conflit, mais il réussit à creuser son propre sillon grâce à la qualité de son casting et à l’écriture des personnages qui se refuse à dresser des portraits manichéens. Si Aurélia Georges adapte un roman britannique, The New Magdalene de Wilkie Collins, elle y insuffle des éléments personnels, telle son envie de faire un constat social qui dépasse le cadre temporel imposé par le film. Elle rappelle l’extrême difficulté pour une femme de changer de statut quand depuis l’enfance, elle est dépourvue de famille, d’argent et de soutiens quels qu’ils soient. Dans une société de classes aussi verrouillée que la France du début du XXème siècle, seul un miracle peut permettre une ascension sociale rapide.

C’est le motif de la renaissance, que ce soit par l’adoption d’une nouvelle identité ou la solution proposée par Éléonore en fin de film, qui peut permettre un espoir de ne plus se voir enferrée dans un statut qui condamne à vie cette femme à la pauvreté. La place d’une autre est à la fois un hymne magnifique à l’amitié mais aussi un constat terrifiant pour des générations de femmes ayant vécu dans la violence d’un système où la naissance figeait les destins dans la plus grande des injustices.

Bande-annonce

19 janvier 2022 – D’Aurélia Georges, avec Lyna Khoudri, Sabine Azema et Maud Wyler.




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