THEHOUSE

LA MAISON

Dans cette comédie noire animée, une mystérieuse maison unit une famille pauvre, un développeur anxieux et une propriétaire exaspérée à travers des époques différentes.

Critique du film

Discrètement apparue dans les suggestions des utilisateurs Netflix il y a quelque jours, La Maison, anthologie de trois films d’animation en volume réalisés par des artistes prometteurs, n’est pas tout à fait l’objet curieux du catalogue que se plaît à décrire l’équipe de communication de la plate-forme. Outre sa production manifestement confortable, qui aboutit à une animation assez luxueuse – la présence d’éléments complexes à mettre en mouvement comme l’eau, le feu ou la brume, n’est pas anodine –, le long-métrage dans son ensemble témoigne bien de la « griffe Netflix », allant des teintes parfois rosées ou jaunâtres de la photographie jusqu’aux choix des sujets et de l’ambiance des trois segments, tous ayant un rapport plus ou moins prononcé à l’horreur ou à la folie.

Les animateurs invités, peut-être choisis pour les correspondances entre leurs univers personnels bien installés et la ligne éditoriale de la plate-forme, livrent néanmoins des interprétations assez variées du sujet imposé : à part la présence de la même maison, habitée à différentes époques par différents personnages, les trois segments n’ont aucune continuité ou cohérence diégétique. L’anthologie réussit en ce sens son pari de film laboratoire, où chaque proposition se distingue des autres jusque dans l’imaginaire même associé à la maison : espace non familier en perpétuelle recomposition dans le premier film, espace de paraître, de décrépitude et de déchéance dans le second et, enfin, espace de vie et de structure intérieure dans le dernier segment.

La Maison
Reprenant une ambiance de conte morose proche de Coraline, la première partie, réalisée par les animateurs belges Emma de Swaef et Marc James Roels, narre l’arrivée d’une famille pauvre dans une nouvelle maison, construite gracieusement par un mystérieux architecte. Cette histoire, la plus horrifique des trois, mise à la fois sur l’étrangeté des figurines en tissu, récurrentes dans le travail des deux réalisateurs, et le suspense créé par la découverte de la transformation spontanée des pièces du manoir pendant la nuit, à la manière du jeu vidéo Layers of Fear. Le court-métrage ne se prive pas de nombreux poncifs de l’horreur (rires inquiétants, personnages fous qui se parlent à eux-mêmes, silhouettes silencieuses…), dont la gratuité est d’autant plus soulignée par l’absence de sous-texte et par la fin abrupte, mais l’ensemble reste très appréciable pour sa maîtrise du mystère, qui donne envie de découvrir l’événement dramatique vers lequel le récit se dirige fatalement. La reconfiguration impossible de l’espace de la maison, qui déploie des couloirs infinis et donne l’impression d’être piégé dans des coulisses, permet d’évoquer la peur de la solitude et celle d’être perdu, mais l’idée aurait mérité de s’incarner davantage dans le montage et le hors-champ. On regrette que les deux réalisateurs, qui trouvent le tempo juste pour faire naître les doutes et inquiétudes, se retrouvent contraints par leur format court : l’errance de l’héroïne dans les corridors mal éclairés pouvait se prolonger encore un peu.

Difficile d’en dire autant du segment réalisé par l’artiste suédoise Niki Lindroth von Bahr, assez déplaisant à regarder puisque son univers est dédié aux thématiques de la ruine et de la vermine. La lutte du personnage principal, un promoteur immobilier qui restaure la maison qu’il vient de racheter, avec une invasion d’insectes nuisibles, est une incarnation assez lourde d’un climat social et économique délétère – on le comprend au reportage à la radio et aux différentes interactions avec les clients potentiels – qui conduit le héros à la déchéance et la folie. Comme si la réalisatrice n’arrivait pas à contrôler le gain d’expressivité de l’animation par rapport au cinéma traditionnel, l’ensemble paraît déborder de tous les côtés, en faire trop tout en demeurant pesant et surtout convenu, dans son déroulé comme dans son sous-texte. L’échec auquel est voué le promoteur est exprimé avec un humour noir peu concluant par l’invasion progressive des intérieurs de la maison par la saleté et les indésirables, miroir de l’esprit du protagoniste gagné par l’obsession et le retour du refoulé. Le film reprend ainsi ce thème déjà exploré de l’espace intime perverti mais s’arrête dès que l’idée est formulée, sans chercher à se renouveler ou aller plus loin. Les quelques moments farfelus, comme le numéro musical, se font avec une froideur pénible qui achève d’enfoncer l’ensemble dans une noirceur bête, où l’on préférera le laisser.

La Maison
Fort heureusement, le troisième segment réalisé par Paloma Baeza s’impose comme le plus réussi, et écarte le rapport angoissant à l’espace des deux précédents films. L’intrigue, très inspirée du manga Escale à Yokohama, présente un monde post-apocalyptique tranquille, gagné par une lente montée des eaux. Contrairement à la radicalité des deux premiers segments, l’ambiance duveteuse et mélancolique laisse davantage place à la nuance des sentiments, chacun des habitants de la maison, désormais transformée en hôtel isolé, réagissant différemment à la situation. Le court-métrage se concentre ainsi, en opposition encore à la solitude écrasante mise en scène dans les autres parties, sur les relations entre les personnages. Celles-ci restent relativement simples mais permettent d’élaborer une vision, cette fois-ci positive, de la maison comme environnement de vie et de partage. La réalisatrice discute ainsi avec philosophie du passé qui s’incarne dans les lieux où l’on a vécu, de l’attachement à l’espace matériel et, plus subtilement, de la relation conflictuelle, presque territoriale, entre la sphère publique et privée. En cela, ce dernier segment apparaît moins comme un court-métrage dédié à une seule idée poussée jusqu’au bout que comme un monde en soi, marqué par l’exploration sans but apparent de plusieurs thèmes, plusieurs points de vue. De plus, sa position conclusive au sein de l’anthologie, après deux films très sombres, lui donne fonction de soupape, et révèle par contraste les qualités de chaque proposition.

On regrettera simplement que Paloma Baeza tente un rapprochement avec le thème de la folie par une scène onirique au montage haché totalement stéréotypé, unique faute de goût de cette histoire lumineuse qui rappelle avec justesse que l’animation « pour adultes » n’est pas nécessairement désenchantée.

Bande-annonce

Janvier 2022 (Netflix) – De Emma de Swaef et Marc James Roels, Niki Lindroth von Bahr et Paloma Baeza




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