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LA LOI DE TÉHÉRAN

En Iran, la sanction pour possession de drogue est la même que l’on ait 30 g ou 50 kg sur soi : la peine de mort. Dans ces conditions, les narcotrafiquants n’ont aucun scrupule à jouer gros et la vente de crack a explosé. Bilan : 6,5 millions de personnes ont plongé. Au terme d’une traque de plusieurs années, Samad, flic obstiné aux méthodes expéditives, met enfin la main sur le parrain de la drogue Nasser K. Alors qu’il pensait l’affaire classée, la confrontation avec le cerveau du réseau va prendre une tout autre tournure…

CRITIQUE DU FILM

Fraichement récompensé d’un Grand Prix au Festival du Film Policier de Reims, et auréolé d’une ambitieuse promesse signée William Friedkin – « un des plus grands thrillers que j’aie jamais vus » – La Loi de Téhéran entend bien montrer toute la versatilité du cinéma iranien, trop souvent cantonné par chez nous à une facette particulièrement auteurisante. Au prisme d’un grave sujet de société, le film de Saeed Roustay choisit de faire preuve par le nombre, en dépeignant la lutte brutale contre le trafic de drogue dans un microcosme surpeuplé, prêt à imploser.

LA FORCE DU NOMBRE

Comme suggéré par son titre international – Just 6.5 – le cœur de La Loi de Téhéran réside dans ce chiffre vertigineux. 6,5 millions accros au crack, dans un pays de plus de 80 millions d’habitants. Alors, comment montrer la gravité de ces nombres, et autant d’individus derrière eux ? Saeed Roustay choisit alors indirectement de mettre en scène ces 6,5 millions. Le cinéaste joue sur la foule, les innombrables figurants, dans des scènes spectaculaires. C’est celle qui s’enfuie par dizaine à l’arrivée de la police, comme l’on fuirait du mieux que l’on peut un feu de forêt, alors qu’ils se shootent à ciel ouvert. Ou celle, groggy et entassée entre les quatre murs d’une cellule, qui ne cesse de croitre, prête à tout instant à déborder du cadre.

C’est par la force du nombre, d’une masse grouillante, qui se meut tantôt à une vitesse impressionnante, tantôt demeure hagard mais dont le nombre ne cesse de remplir la pièce, qu’est illustrée cette sensation de ravage et le cruel sens du spectaculaire du film. Une sensation de vélocité d’une part, de claustrophobie amplifiée par le choix délibéré de tourner avec de véritables cracks-addicts, offrant une certaine véracité, mais surtout une sensation de désespoir et de fatalisme dans le jeu de certains figurants.

L’intelligence de La Loi de Téhéran est de ne pas céder uniquement au spectaculaire. Le film n’oublie jamais de chroniquer la situation à laquelle fait face l’Iran. Les politiques ultra-répressives, jusqu’à l’absurde, en matière de lutte contre le trafic de drogue ont donné lieu à une situation insoluble. Ce constat politique est délibérément montré dans la première scène, où un trafiquant est poursuivi par la police. Ayant réussi à le semer, il tombe dans un chantier, et se retrouve enseveli vivant sous des gravats. Une mort explicitement silencieuse, à l’abri des regards, et qui semble une bien piètre résolution judiciaire des raisons de sa poursuite. Le film montre les résultats de cette politique, sur les corps, sur les esprits, et les choix ubuesques que l’addiction, comme sa lutte, suppose de faire.

La loi de Teheran

TO LIVE AND DIE IN TEHERAN

Cette volonté d’aller au-delà d’une vision binaire de la lutte contre le crack en Iran s’illustre dans l’écriture des personnages principaux. Dans La Loi de Téhéran, Samad, interprété par Payman Maad – Nader dans Une séparation d’Ashgar Farhadi – incarne un policier dont l’apparente ambiguïté morale joue avec les nerfs du spectateur, des trafiquants, des drogués, de ses collègues. A l’instar d’un détective hardboiled qui se montrerait aussi cruel et violent que les criminels qu’il pourchasse, Samad, comme un chasseur, semble jouer de ses proies. Inébranlable, campant un policier tantôt corruptible, tantôt injuste, tant que cela sert ses desseins d’enquêteur, Samad fait tout ce qui est en son pouvoir face au fléau du crack, plaie béante dans la société iranienne. Un personnage froid, imprévisible, parfois effrayant, habité malgré tout d’un certain sens de la justice. A l’inverse, le personnage de Nasser Khakzad, grand trafiquant et source supposée de tous les maux de Samad, semble être écrit à contrepied du policier. S’il n’hésite pas à user de toutes ses viles compétences pour s’en sortir, peu à peu cette figure du roi-caïd s’effeuille, laissant apparaitre le portrait d’un homme sensible, apeuré par la misère où il a vécu, n’ayant pour point de fuite que de s’extirper, lui et les siens, de sa condition sociale initiale.

Il y a dans le film une réelle volonté de complexifier les profils, de montrer le mauvais dans le juste, le juste dans le bon, à l’instar d’une situation politique et sociale complexe. En dépit de cela, le rythme souffre un peu de la claustrophobie instaurée par le film dans son deuxième tiers, comme s’il reprenait son souffle. Une cocotte-minute redoutable qui prend son temps pour faire monter la pression, cuire le spectateur à l’étouffée, jusqu’à des températures difficilement supportables, mais qui toutefois ne parvient vraiment jamais à exploser avec le grain de folie que l’on serait en droit d’attente d’une telle préparation.

Bande-annonce

28 juillet 2021 – De Saeed Roustayi, avec Payman Maadi




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