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LA FILLE D’ALBINO RODRIGUE

Rosemay, 16 ans, vit en famille d’accueil et ne rejoint sa famille biologique que pour les vacances. Un jour, son père n’est pas là pour l’accueillir comme prévu. D’ailleurs, il ne réapparaît pas et semble s’être évaporé. Ses questions ne rencontrant que des mensonges, Rosemay ne peut se fier qu’à son intuition…

Critique du film

La Fille d’Albino Rodrigue appartient à la catégorie de ces films rugueux qui ne caressent personne dans le sens du poil, tant ses personnages que le spectateur. C’est précisément l’absence de facilité qui fait le prix de ce film qui suit le chemin de Rosemay, jeune femme en quête de vérité.

Etreintes brisées

Il y a, dans le rituel, une part de monotonie et une part d’équilibre. Rosemay, les vacances venues, retourne chez ses parents biologiques. Rendez-vous avec le père devant la gare, comme à chaque fois. Mais la fiction, même quand elle se nourrit du réel, prospère en dispersant des grains de sable dans l’engrenage de l’habitude.

Le père n’est pas là, Rosemay se débrouille pour rentrer. Une mère et sa fille, déshabituées l’une de l’autre, tournent autour de l’absence du mari, du père. La mère, c’est Marga (épatante Emilie Dequenne, la spontanéité de la girouette et la désinvolture du courant d’air), incapable de la moindre affection, éternelle victime, et qui lève plus facilement le coude que les yeux sur sa fille. Rosemay en a pris son parti depuis longtemps, aimée dans sa famille d’accueil où la proximité des chevaux et des brebis lui procure une autre forme de chaleur. Manuel, le frère, refait surface après des déboires et des années de silence à la légion étrangère (personnage un peu cliché, le plus faible d’un scénario qui brille par sa justesse). Rosemay doit le rattraper par le colback pour le contraindre à une étreinte à laquelle il consent, raide et froid comme la justice.

Le film expose cette famille dysfonctionnelle sans en rajouter dans le sordide. Le bric-à-brac de ce couple de chiffonniers suffit à dire qu’un objet de petite valeur a plus d’importance que Rosemay dans cette maison restée dans un jus où l’enfance n’a pas de place.

La Fille d’Albino Rodrigue

Portrait à la pointe sèche

Marga ment comme elle respire. Pilli, surnom du père, serait à l’hôpital. Rosemay voudrait y croire mais les informations sont floues et elle comprend rapidement qu’il y a un loup. Bon d’accord, il n’est pas à l’hôpital, il est parti, pour une plus jeune, le salaud. Plus c’est gros, plus ça passe, croit-elle. Gagner du temps et éloigner Rosemay semble la seule stratégie qu’elle réussisse à péniblement élaborer, entre deux verres.

Chez Val et Sam, parents de substitution (Romane Bohringer et Samir Guesmi, immédiatement crédibles à l’écran) Rosemay doit composer avec Sosha, nouvelle petite sœur accueillie par la famille. La jeune fille ne désarme pas, écrit au commissaire puis à la procureure de la République, pour signaler la disparition de son père. Derrière le regard triste mais déterminée de Galatéa Bellugi (découverte dans L’Apparition, également à l’affiche en ce début d’année de Chien de la casse) rien ne laisse deviner à quel pire scenario elle s’attend, à quel espoir elle s’accroche.

Rosemay : les épines et le printemps, on appelle ça un raccourci. Christine Dory dessine un portrait à la pointe sèche, façon Pialat. De ces personnages qui, à 17 ans, ont déjà traversé toutes les solitudes, en sont revenues insubmersibles. La beauté du film réside dans sa manière de déplier un implacable fatum sans jamais condamner un avenir symbolisé par la manière dont Rosemay et Sosha construisent des châteaux au Portugal. La Fille d’Albino Rodrigue joue une petite musique (celle de Reno Isaac est remarquable, toujours cohérente avec le ton du film, sans être un écho redondant de l’image) devenue assez rare dans le cinéma français – on ne saurait passer à côté.

Bande-annonce

10 mai 2023 – De Christine Dory
avec Galatéa Bellugi, Emilie Dequenne, Romane Bohringer et Samir Guesmi




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