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LA FAMILLE TENENBAUM

Chez les Tenenbaum, les enfants ont toujours été des génies. Tout jeunes, Chas était déjà un maître de la finance, Margot une dramaturge exceptionnelle et Richie un joueur de tennis hors pair. Mais un jour, Etheline, leur mère, demande le divorce. Elle ne supporte plus le caractère égoïste de Royal Tenenbaum, son mari. Cette crise familiale a une influence négative sur le développement personnel de leurs progénitures.Vingt ans plus tard, Royal écume les palaces, Etheline s’adonne à l’archéologie, Chas tente d’élever ses deux fils après la mort de son épouse, Richie est un champion déchu et Margot s’est marié avec un psy. Le père Tenenbaum annonce bientôt à ses enfants qu’il ne lui reste plus longtemps à vivre. Il souhaite se réconcilier avec eux et s’invite dans la maison familiale en prétextant une grave maladie.

Famille recomposée

Troisième opus de Wes Anderson après Bottle Rocket et Rushmore, La Famille Tenenbaum contient déjà en lui tout l’univers de son auteur. On pourrait d’ailleurs presque voir dans La Famille Tenenbaum une sorte de suite directe de Rushmore, dans laquelle l’ado surdoué (interprété par Jason Schwartzmann) aurait grandi pour mieux plonger dans la dépression. Sous ses apparences de film léger et décalé, La Famille Tenenbaum est en fait un grand film dépressif. Et probablement le plus dépressif de son auteur : que l’on soit un génie dans les arts, un as de la finance ou un champion de tennis, le spleen peut frapper à la porte à tout moment.

On y retrouve quelques habitués de la sphère « andersonienne » (les frères Wilson, Bill Murray), auxquels sont venues s’adjoindre quelques personnalités non moins prestigieuses : Ben Stiller, Gwyneth Paltrow, Anjelica Huston, Danny Glover et surtout Gene Hackman. Ce dernier, absolument impérial dans le rôle de Royal, interprète un patriarche absent et légèrement à l’ouest qui tente de renouer tardivement les liens avec ses enfants, et ce de la pire manière qui soit : en s’inventant un cancer pour provoquer leur pitié. Une stratégie pathétique pour tenter de regagner leur amour, que Wes Anderson montre en équilibrant à la perfection l’absurdité drôlatique de la situation et la profonde tristesse d’une telle manœuvre. On peut en rire, et c’est tout à fait logique tant certaines situations sont drôles ; mais ce rire est constamment contrebalancé par le désespoir total que représente une manœuvre pareille.

Anderson traite donc ici de la famille et des rapports filiaux (une constante de son cinéma), en y mêlant les thèmes du deuil, de la tromperie, des déceptions amoureuses et de l’impossibilité de s’aimer. Vaste programme, pour une comédie ! Mais il y a finalement peu de place pour la gaudriole et la loufoquerie, hormis quelques saillies absurdes que Anderson ne peut s’empêcher d’intégrer (Ben Stiller et ses deux fils portant exactement la même tenue de jogging rouge, la frénésie de la séquence finale du mariage).

Car ces grands enfants, tout surdoués, malades ou inadaptés sociaux qu’ils soient, sont à la recherche d’une seule et même chose : d’amour. Un message simple (d’aucuns diraient même « simplistes », ce qui serait totalement faux) et et anti-cynique, mais que le cinéaste ne nous assène jamais avec pathos et misérabilisme. C’est de fait là que se cache la vraie légèreté du film : dans sa capacité à traiter d’un sujet grave sans en avoir l’air, à travers une mise en scène aérienne, extrêmement léchée et inventive.

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Pour s’en rendre compte, il suffit de voir la séquence dans laquelle le personnage de Owen Wilson tente de mettre fin à ses jours : un moment qui n’a absolument rien de drôle, mais sous la caméra de Anderson, ce qui pourrait être traité frontalement et sans la moindre subtilité devient un bijou de mise en scène, illustré par la musique de Elliott Smith (chanteur au destin funeste qui n’a sûrement pas été choisi par hasard sur cette scène). Un autre instant de grâce intervient un peu plus tôt, lorsque le personnage de Margot Tenenbaum (Gwyneth Paltrow, fille adoptive de la famille et mal dans sa peau) descend du bus afin de retrouver son demi-frère. Une apparition au ralenti sublimée par la magnifique balade mélancolique qu’est « The Fairest of the Seasons » de Nico, et dont on peut légitimement penser qu’elle a dû inspirer à l’époque le jeune Xavier D. originaire de Montréal…

La Famille Tenenbaum semble alors être le dernier film du réalisateur à se passer dans le monde réel, un peu plus éloigné des affèteries de petites maisons de poupées que certains décrient pour ses films les plus récents. Et c’est justement ce côté tangible et concret qui en fait sans doute son oeuvre la plus émouvante. Mais dans le même temps, son style commence à s’affirmer : là où ses deux précédents essais contenaient seulement en germe les figures stylistiques à venir, dès l’intro on se retrouve ici plongé dans un petit livre illustré que l’on pourrait croire issu de la bibliothèque du Grand Budapest Hotel. Par la suite, on recouvre tout ce qui fait du cinéma de Wes Anderson ce qu’il est et que d’autres tenteront de copier ou de caricaturer : les travellings latéraux et circulaires, la symétrie parfaite des plans ou bien encore la construction en chapitres distincts. Mais on sent que le réalisateur texan se retient encore un peu.

L’autre élément constitutif de son cinéma est la bande originale, à laquelle il prête une attention proche de la maniaquerie. Et là encore, celle-ci est à tomber par terre : outre Elliott Smith et Nico, on y entend rien de moins que les Rolling Stones, Maurice Ravel, les Beach Boys, Nick Drake, Bob Dylan ou les Clash. Que l’on soit sensible ou non au cinéma de Wes Anderson, il y a une chose que l’on ne peut pas lui enlever : ses films sont toujours un régal pour les yeux et les oreilles.

Et lorsque le film se clôt sur une épitaphe qui, bien que mensongère, symbolise ce que tout un chacun aimerait que l’on retienne de son existence, il n’est pas impossible d’avoir envie de siffloter un air de Van Morrison tout en s’épongeant les yeux…


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