La_Disparition

LA DISPARITION ?

Alors que Mathieu Sapin écrit quelques pages de BD à l’occasion du quarantième anniversaire de l’élection de François Mitterrand, il se tourne – pour connaître la petite histoire dans la grande – vers les figures de l’ombre du Parti Socialiste, au premier rang desquelles Julien Dray, le « Baron Noir ». Au travers d’anecdotes et témoignages inédits de visiteurs du soir qui côtoient les plus hautes sphères de l’Etat depuis le 10 mai 1981, Mathieu Sapin s’embarque alors dans une enquête qui va répondre à la question politique majeure du PS : « Comment la gauche en est-elle arrivée là ? ».

Critique du film

Au centre du documentaire La disparition on trouve une date, le 10 mai 1981 élection de François Mitterrand à la tête de l’Etat français, et deux hommes, Mathieu Sapin et Julien Dray. Le premier est un artiste connu pour ses bande-dessinées politiques dans Libération, le second, le fameux « baron noir », co-fondateur de SOS Racisme, ancien député socialiste et homme fort de ce parti pendant plusieurs décennies. Si l’élection de Mitterrand en 1981 est l’événement qui déclenche le projet, celui-ci va embrasser un spectre temporel beaucoup plus vaste, narrant cinquante années de vie politique française vue par le prisme du parti socialiste.

C’est toute l’histoire de la gauche de gouvernement sous la Vème République que vont balayer les deux narrateurs, aidés pour cela par des images d’archives, mais aussi par des témoignages qui vont faire pour beaucoup dans la réussite du film. La surprise provient du personnage assez haut en couleurs qu’est Gérard Colé, que Mathieu Sapin est allé rencontrer dans sa maison des Landes. Au début de sa trentaine, cet homme à succès qui roule en Jaguar, amène dans la vie politique française quelque chose de nouveau : l’influence des communicants dont l’emprise ne va jamais cesser d’augmenter. Positionné dans le premier cercle de confiance de François Mitterrand, il est celui qui amènera Jacques Séguéla dans le sillon de la politique, et c’est lui qui conduit la campagne très compliquée qui doit permettre l’élection du premier président de gauche depuis plus de 25 ans.

Gérard Colé est un homme aussi fascinant que terrifiant, orateur hors pair mais aussi rappelant que cette génération était celle de l’entre-soi masculin au langage facilement misogyne et ordurier. C’est par sa bouche qu’on apprend que le soir du 10 mai 1981 Mitterrand prononce cette phrase surprenante, « c’est sept ans trop tard », référence à sa courte défaite en 1974 face à Valéry Giscard d’Estaing. Ce que dresse le film est un regard très critique sur le leg de cette période, avec la perspective des différents échecs et victoires qui ont amené la quasi disparition du parti socialiste aujourd’hui. Julien Dray fut le témoin de toutes ces périodes, et on est presque surpris de le voir aussi acide envers ce parti dont il fut un des acteurs les plus actifs.

la disparition
Cette remise en question, peut-être tardive, n’en est pas moins une surprise. Si Philippe Morgau-Chevrolet, lui aussi communicant, porte un regard sans concession sur ce que son milieu a pu apporter au monde politique, c’est le témoignage de Laure Adler qui est peut être le plus dur, elle qui fut une conseillère de Mitterrand pour le domaine culturel dans les années 1980. S’il est question d’histoire dans la Disparition, c’est pour mieux dresser un état des lieux du parti socialiste dans une période beaucoup plus récente, et notamment la présidence de François Hollande, achevée en 2017 avec le plus petit score d’un candidat socialiste à une élection présidentielle.

Le réquisitoire est ici particulièrement fort, notamment sur l’absence de courage politique qui a pu caractériser la gouvernance Hollande. La responsabilité du parti socialiste dans le divorce opéré entre les institutions et le peuple est souligné par tous les intervenants du film, et il est intéressant de noter que le constat de la faillite de la Ve République à relever les défis du XXIème siècle est un constat assez partagé également.

La force de ce documentaire est donc certainement contenue dans la qualité de ces témoignages qui, malgré une mise en scène de Jean-Pierre Pozzi très simple et mécanique, permettent une réflexion pertinente et habile sur les failles et les erreurs d’un mouvement qui, au cours de son histoire, s’est perdu tant dans son identité que dans sa capacité à penser et rêver le monde. Sans ce projet de société qui avait déclenché une effusion de joie le 10 mai 1981, le parti socialiste français s’est recroquevillé sur un appareil politique exsangue sans avenir, ce deux mois avant la prochaine grande échéance nationale d’avril 2022.

Bande-annonce

9 février 2022 – De Jean-Pierre Pozzi, avec Mathieu Sapin, Julien Dray et Gérard Colé.




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