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LA COUR DES MIRACLES

Jacques Prévert, école primaire en Seine-Saint-Denis, est menacée par l’arrivée d’un nouvel établissement scolaire bobo-écolo flambant neuf. Zahia la directrice de l’école, en quête de mixité sociale, s’associe à Marion, jeune instit pleine d’idées, pour créer la première « école verte » de banlieue et attirer les nouveaux habitants. Mais pour ça, il va falloir composer avec une équipe pédagogique disons… hétéroclite, et pas vraiment tournée vers la nature.

Critique du film

La séquence pré-générique donne le ton. Plusieurs candidats défilent devant un jury pour une session de recrutement afin de pallier la pénurie de professeurs dans la Seine-Saint-Denis. Une pastille qui ne manque pas de rappeler le job dating organisé en Ile-de-France pour compenser, dans l’urgence, le manque d’instituteurs pour la rentrée 2022. Comment combattre la crise de vocations dont souffre le métier depuis une bonne décennie et que les ministres successifs de l’Education Nationale semblent avoir, sciemment ou pas, ignorée jusqu’à cette situation ? Cette tactique improvisée à la hâte, qui ne doit pas occulter les manquements, ne risque-t-elle pas au contraire d’accentuer les disparités et accroître les inégalités ? Et puis, s’improvise-t-on réellement enseignant en trente minutes d’entretien et quatre jours de cours magistraux en amphithéâtre ?

Pleine d’enthousiasme, de détermination et d’idées neuves, Marion découvre ainsi l’École de la République dans le 93, où elle vient d’être nommée, et le fossé qui sépare les belles déclarations médiatiques des gouvernants de la réalité du terrain. Chaises trop petites pour les élèves, manque de matériel (aucun tableau accroché au mur, pas assez de manuels pour chaque élève), photocopies limitées à 25 par jour… Elle constate sur place que l’école de l’égalité des chances n’est qu’une chimère et, dans certains territoires, la mixité sociale une vaste supercherie politique, souvent conditionnée à d’autres enjeux politiques et immobiliers.

Toute ressemblance avec la réalité est loin d’être fortuite dans La cour des miracles. Alors qu’une nouvelle école, pour les familles souhaitant s’installer dans les nouvelles résidences modernes du quartier, va bientôt être inaugurée, celle de Jacques Prévert, où Marion a été affectée, a toutes les peines du monde à trouver un enseignant pour chaque classe. Même l’Inspecteur de l’Education Nationale semble avoir baissé les bras, ne trouvant rien de mieux que de donner carte blanche à la directrice dans les démarches de recrutement via Pôle Emploi. Avec en ligne de mire le projet de faire de Prévert une « école verte », quelques contractuels sont embauchés au pied levé, prenant la charge d’une classe du jour au lendemain, sans formation. L’école publique en 2022, en somme.

La cour des miracles

Prenant le contre-pied de films tels que Ça commence aujourd’hui de Tavernier ou Être et avoir de Nicolas Philibert, qui s’intéressaient à l’image traditionnelle du maître d’école, la comédie de Carine May et Hakim Zouhani propose un tout autre regard sur ce qu’est désormais devenu le métier de professeurs des écoles dans notre pays. Plus que jamais, la débrouillardise, l’adaptabilité et une capacité de résistance hors du commun sont devenues des aptitudes essentielles pour compenser le désengagement progressif et soutenu des pouvoirs publics, qui ont paradoxalement décuplé les missions attribuées au corps enseignant tout en les dépossédant de moyens matériels et humains pour y parvenir.

Avec malice et humour, La cour des miracles offre un aperçu de ce qui cloche actuellement dans notre société. Dans un pays qui ne semble plus croire au mérite et à la promesse d’ascension sociale jadis véhiculée par l’Education Nationale, on peut constater combien les choix politiques depuis la gouvernance de Sarkozy ont placé la profession (et toute l’institution) dans une alarmante précarisation. Enseignants, élèves et familles sont de plus en plus abandonnés, sacrifiés par une société toujours plus inégalitaire qui semble s’être résignée à détourner le regard des questions de déterminisme et d’injustices sociales. Il faut voir, pourtant, ces enseignant.e.s, si souvent pointé.e.s du doigt par démagogie ou méconnaissance du métier, porter leurs établissements à bout de bras et puiser toujours davantage sur leur énergie et leur sphère privée pour maintenir à flot un navire qui tangue de tous bords.

Le titre du film prend alors tout son double sens. Figuré, lorsqu’il s’agit d’illustrer le grand chaos qui règne dans les établissements et l’improvisation de ces néo-professeurs envoyés dans le grand bain pour affronter des situations improbables. Au sens propre, pour mettre en lumière ce lieu des possibles où les bonnes volontés sont encore légions et où enfants et adultes ne cessent de surprendre et de réaliser de grandes choses en tirant tous dans le même sens. Parce que l’école, c’est avant tout ça : un lieu où chaque jour des petits miracles se réalisent, des enfants qui reprennent confiance, se découvrent des aptitudes insoupçonnées, s’affranchissent ponctuellement de leurs fardeaux intimes. Et où de nouveaux horizons se dégagent parfois, envers et contre tout.

Avec leur très sympathique La cour des miracles, May et Zouhani dressent, avec tendresse et lucidité, le terrible constat d’une école de la république à l’abandon. Perfectible mais avec un cœur immense.

Bande-annonce

28 septembre 2022De Hakim ZouhaniCarine May, avec Rachida BrakniAnaïde Rozam, Sérigne M’Baye




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