La classe volante

LA CLASSE VOLANTE

Elèves d’un pensionnat pour garçons aux règles strictes, Jonathan, Martin, Sebastian, Matthias et Uli perpétuent la tradition de la rivalité qui oppose depuis des années leur établissement à l’école secondaire de la ville, sous l’œil bienveillant de leur professeur principal – rebaptisé affectueusement « Justus ». Un professeur qu’ils respectent et apprécient particulièrement, au point d’orchestrer ses retrouvailles avec son ami d’enfance, et qui leur inspirera la pièce de théâtre à jouer en fin d’année : La Classe Volante.

CRITIQUE CROISEE DES TROIS FILMS

La classe volante 1954

Classique de la littérature jeunesse germanophone, La Classe Volante d’Erich Kästner fait partie de ces histoires que l’on découvre à l’enfance et qui nous accompagnent toute une vie. Auteur visionnaire, interdit de publication sous le régime nazi et farouchement engagé pour une instruction éclairée, il est de ces plumes intelligentes qui ne confondent pas inexpérience avec sottise ; les enfants sont des êtres intelligents, et en dépeignant leurs enquêtes (dans Emile et les détectives) ou leurs ruses (dans Deux pour une), il adresse toujours un clin d’œil aux adultes ayant eu la bêtise de se débarrasser de leurs jeunes années « comme d’un vieux chapeau » – pour reprendre son expression consacrée.

La Classe Volante raconte le quotidien de cinq pensionnaires d’un internat de prestige, rythmé par leurs incessantes querelles avec les élèves d’un autre établissement – non sans rappeler notre bien connue Guerre des boutons – et les leçons de géographie comme de vie dispensées par leur professeur principal et préféré, le Dr. Johannes Bökh. Personnage charismatique, entré dans la profession après avoir été lui-même élève au pensionnat et traumatisé par la sévérité excessive du corps enseignant et surveillant, il allie exigence et équité – ce qui lui vaudra d’être surnommé « Le Juste » par ses étudiants, se méritant ainsi leur respect et leur gratitude, au point qu’ils lui dédieront le spectacle de fin d’année : une pièce en vers, mettant en scène la vision d’un Justus s’envolant avec sa classe pour découvrir le monde et leur faire cours aux pieds du Vésuve ou des Pyramides.

PREUVE PAR TROIS

Tout comme les déductions d’Emile (adapté dix fois, dont le remake français Nous les gosses) et l’échange des jumelles Louise et Lotte (adapté seize fois – parmi lesquels les débuts cinéma de Lindsay Lohan dans A nous quatre), les aventures des cinq pensionnaires aux rêves d’échappées belles ont été portées trois fois à l’écran – une première fois en 1954, une deuxième fois en 1973 et enfin, en 2003. Trois films qui, tout en restant fidèles à l’esprit de Kästner, se différencient drastiquement par leur scénario, leur mise en scène – et leurs acteurs.

Douce et nostalgique, dont Erich Kästner a lui-même assuré l’écriture et y joue son propre rôle, la première version de 1954 mérite amplement le label « Particulièrement Précieux » de la FBW (équivalent allemand du CNC) – et ce d’autant plus que Kästner avait commencé dès 1933 à travailler sur le projet cinématographique, entravé par les autorités de l’époque car le propos du film était « bien trop humain » pour la pensée fasciste. Plantant son décor dans le village alpin de Kirchberg, à quelques jours des fêtes de Noël, la camera de Kurt Hoffmann suit les courses effrénées des enfants à travers les ruelles pavées alors que tombent sur leurs genoux écorchés de petites plumes que l’œil attendri du spectateur n’aura aucune peine à voir comme des flocons. La performance (et la célèbre moustache) de Paul Dahlke dans le rôle de Justus est d’autant plus touchante que s’il n’est jamais avare de bons conseils à l’égard de ses élèves, il s’en détourne souvent pour offrir à la discrétion seule du quatrième mur ses réactions amusées à leurs infractions au règlement – qu’il juge d’autant plus consciemment qu’à leur âge, il en faisait de même.

La classe volante

A contrario, la version de 1973 pose ses valises colorées dans la ville de Bamberg, en plein été. Les bonnets et joues rouges de garçonnets sont tronqués contre les pantalons pattes d’éléphant et les carrés mi-longs de pré-ados, tandis que l’action s’enchaine sur des rythmes très glitter pop. Il faut dire que le rôle de Justus est cette fois-ci campé par la star hip de l’époque, Joachim Blacky, Fuchsberger, et que la réalisation assurée par Werner Jacobs fait souffler un vent de modernité sur l’ensemble du film, de même que des répliques devenues cultes, notamment celles de Sebastian (« Notre pion fait le malin comme un wagon de profs torse-nus »). L’humour s’y taille en effet une place de choix, de même que certaines romances qui étoffent encore un peu plus les personnages. Véritable sensation lors de sa sortie, le film est au panthéon des incontournables outre-rhin, au point d’en oublier la version originale et de crier (à tort) à l’hérésie à l’évocation de son successeur.

La classe volante

Renouant avec l’idée de la Weihnachtsgeschichte (que l’on pourrait le plus justement traduire par « conte de Noël ») tel qu’imaginé par Kästner, la version de 2003 a fait le pari risqué de transposer l’histoire au sein du célèbre internat des Chœurs de l’église de Saint-Thomas de Leipzig. Au classicisme du cadre éducatif particulier de ces jeunes chanteurs et de leur répertoire, Tomy Wigand oppose l’originalité que la pièce de théâtre jouée par les enfants devienne une comédie musicale intégralement rappée et futuriste – et composée à l’origine par nul autre que Justus dans une Allemagne divisée par les deux blocks, dont ils retrouvent les textes par hasard. Ulrich Noethen lui prête ses traits, devenu du fait de l’adaptation dans un univers plus musical, non plus professeur de géographie mais chef de cœur (et des cœurs) de nos jeunes protagonistes.

Propositions aussi diversifiées que riches, chaque adaptation garde trois dénominateurs communs : la bataille centrale qui oppose les pensionnaires à leurs rivaux, la représentation de La Classe Volante en fin de film – et surtout, les retrouvailles orchestrées par les enfants entre Justus et son ami d’enfance perdu de vue il y a une trentaine d’années. Et pour cause : l’histoire imaginée par Kästner et dépeinte par Hoffmann, Jacobs et Wigand témoigne de ce que l’on peut faire de plus fou par amitié.

LES COPAINS D’ABORD

« Comment un adulte peut-il oublier sa jeunesse, au point de ne plus savoir combien un enfant peut être triste et malheureux ? Car il est bien égal que l’on pleure pour une poupée abimée, ou parce que l’on perd plus tard un ami dévoué. » La version de 2003 s’ouvre par cette citation de l’auteur, et elle aurait tout autant pu servir de carton d’introduction à ses deux ainées.

Ode à la camaraderie et à la solidarité, La Classe Volante met en scène un esprit de groupe fort, au sein duquel se détachent toujours des tandems qui se soutiennent et se poussent mutuellement. Ainsi, Johnny l’orphelin recueilli par différents hasards de circonstances, épaule et console Martin lorsque sa famille ne peut soit pas trouver les moyens financiers pour lui permettre un retour à la maison pour les vacances, ou lorsque ses parents divorcent. De même, la dynamique entre le costaud Matthias et le très timide Ulifait toujours mouche – le premier prenant fraternellement la défense du second, jusqu’à lui souffler l’idée dangereuse de faire quelque chose de très brave mais terriblement stupide, à savoir sauter d’une hauteur avec pour seul parachute un parapluie. Dans les trois versions, les jeunes acteurs sont bouleversants.

A l’image de leurs benjamins, le duo que forment Johannes « Justus » et son ami Robert – surnommé Le Non-Fumeur car vivant dans un wagon abandonné réservé aux passagers éponymes – a cette faculté instantanée de nous faire sourire tant ces deux hommes se retrouvent transportés, par la magie de l’échange de regards vieillis mais intacts, trente ans en arrière. A une époque où eux ne pouvaient pas compter sur la bienveillance des adultes en charge de leur éducation, ils ont pu puiser en leur indéfectible amitié des valeurs d’autant plus essentielles que celles qu’on leur inculquait pesaient sur leurs épaules en grands poids réactionnaires. Au cœur de leur histoire, l’épisode particulièrement poignant où Robert se rend à la place de Johannes en salle de punition pour que ce dernier puisse rendre visite à sa mère, gravement malade. Un épisode que, devenu adulte, Justus raconte à ses propres élèves en guise de punition – leur faisant comprendre que défier l’autorité par amitié est une preuve supérieure de solidarité.

La classe volante 2003

LA LECON DEVIENT RECREATION

A l’image des enseignements de Justus, chacun des trois films s’empare de l’histoire originale pour l’amener ailleurs. La faire exister au-delà de la page, à présent libre du silence jusque-là imposé pour le premier, lui apporter des nuances plus vives et dans le vent pour le deuxième et enfin, la réinventer encore, et ce jusque dans la confrontation entre les élèves.

En effet, dans les versions de 54 et 73, les pensionnaires, éduqués de manière élitiste, se querellent avec des étudiants de Realschule– une opposition qui jusqu’à récemment, rythmait de manière assez malsaine les parcours scolaires allemands, puisque l’orientation en Realschule constituait dans l’inconscient collectif le signe que l’élève avait des difficultés et n’était donc pas capable de poursuivre le cursus généraliste – alors qu’il ne s’agit que d’un aménagement des programmes. La version de 2003 choisi ici d’opposer les internes et les externes, lesquels se sentent de facto exclus de la dynamique de leur école, plus connue pour sa chorale que pour son excellence académique.

« Nous avons des en-cas et de l’essence, sommes en bord de mer là où les palmiers sont abondance, la leçon devient récréation ! » Tels sont les vers par lesquels les cinq pensionnaires débutent leur pièce de théâtre. Très joyeuse, souvent drôle et toujours émouvante, La Classe Volante est un voyage éternellement renouvelé – et ce peu importe la ligne sur laquelle on décide d’embarquer.


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